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Le blog de Paul Quilès

Réflexions et informations sur la paix et le désarmement nucléaire, sur la démocratie et sur l'actualité politique.

Il y a 40 ans, la fête

Publié le 8 Mai 2021 par Paul Quilès in PS, Politique française

Béatrice Marre, Paul Quilès et Claude Villers à la tribune de la Bastille le 10 mai 1981Béatrice Marre, Paul Quilès et Claude Villers à la tribune de la Bastille le 10 mai 1981

Béatrice Marre, Paul Quilès et Claude Villers à la tribune de la Bastille le 10 mai 1981

"On a repris la Bastille! 10 mai 1981"

C’est le titre du petit ouvrage que j'ai écrit en 2011, pour le 30ème anniversaire du 10 mai, avec Béatrice Marre, responsable de l'organisation des grands événements auprès de l'équipe de campagne que je dirigeais.

Nous y relatons par le menu la genèse et le déroulement de cette journée historique.

J'ai demandé à Béatrice d'en extraire quelques bonnes feuilles évoquant le caractère particulier d'une fête qui deviendra un symbole pour plusieurs générations, parce qu’elle aura été aussi "une fête pour l’histoire" : le plus grand rassemblement populaire depuis mai 68 pour saluer la rupture de l’hégémonie de la droite au pouvoir (23 ans !).

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"Ce sera la Bastille"

Du choix du lieu de la fête, -acceptée par le candidat seulement quelques jours avant, dans les circonstances rappelées par Paul-, jusqu’au recrutement des artistes, à la mise en place des matériels techniques, puis le déroulement lui-même et sa conclusion sous un orage mémorable : tout fut homérique !

Nous voulions que la fête se déroule place de la République, pour le symbole bien sûr ! Mais les conditions matérielles n’étant pas réunies, la place de la Bastille fut donc choisie. Après tout, reprendre la Bastille le 10 mai 1981, c’est aussi un beau symbole ! 

Mais comment faire pour préserver le secret de cette préparation, car François Mitterrand a été clair : une fuite signifierait l’annulation de la fête ; et ensuite, comment pouvoir installer les matériels nécessaires en quelques quarts d’heure après l’annonce des résultats ?

 

"L’intendance précède"

"L’unique solution pour préserver l’embargo", me dit Jean-Marie Butzbach, avec qui je monte l’opération, "c’est de pouvoir installer une scène et tout l’équipement périphérique en moins d’une heure, et sans dispositif préalable. L’équipe de Régiscène est la seule en mesure de préparer tout cela sur des camions semi-remorques dans ses locaux d’Alfortville. Restera à les acheminer place de la Bastille".

Mais il faudra occuper cette scène plusieurs heures. Et c’est Claude Villers, dont les opinions politiques sont bien connues, qui a accepté d’animer la soirée, tout en me disant le 1er mai : "Je commence mes consultations d’artistes au téléphone ce week-end, mais ce n’est pas très simple, avec la contrainte d’embargo que vous m’imposez ! "

 

"Où sont passées les barrières ?"

Pour éviter tout accident, car une foule considérable va bientôt surgir de toutes parts, il faut mettre en place un périmètre de sécurité autour de la colonne de juillet, à laquelle sera adossée la scène, et de l’espace dans lequel seront installées les infrastructures techniques. Mais les célèbres "barrières Vauban", dont la préfecture de Police possède des kilomètres linéaires, tardent à arriver, et pour cause : voici l’échange que j’eus avec l’un des chauffeurs :

"Où étiez-vous donc tous passés ? On vous attendait comme le messie !". "Ben ça, ma p’tite dame, je ne suis pas sensé vous le dire, mais comme je préfère monter ces barrières ici, ne le dites à personne : on arrive des Champs-Elysées, où ils avaient apparemment prévu…une grande fête !"

Ainsi, le président sortant a-t-il cru jusqu’au bout qu’il allait être réélu !  Et ce n’est qu’après l’annonce officielle des résultats, après 20h donc, qu’a été autorisé le démontage du système de sécurité installé sur les Champs Elysées.

"Enfin ! "

21h30. Régiscène a tenu ses engagements, le matériel est installé et les balances-son réglées, le tout en à peine plus d’une heure. Claude Villers monte sur la scène, prend le micro et, après un silence, prononce ce seul mot, enfin !, salué d’une immense clameur : "on a gagné !", "on a gagné ! ". Puis il annonce que cette fête est celle de la liberté retrouvée, liberté de chanter et de danser toute la nuit avec tous les artistes, professionnels ou non, qui le voudront. Et ils sont nombreux, de François Béranger à Yvan Dautun, en passant par Marie-Paule Belle, Pierre Perret, Anna Prucnal, Francis Lalanne ou Bernard Lavilliers et bien d’autres.

Ainsi est allée la fête, heureuse, gouailleuse, insouciante, en attendant les politiques.           

La suite, chacun la connaît : après la retransmission du discours de François Mitterrand depuis la mairie de Château-Chinon, vers 22h, les hommes et les femmes politiques se sont exprimés les uns après les autres…

"Merci l’orage"

Sous l’effet d’un fort coup de vent, l’une des attaches supérieures se rompt, et l’écran géant se met à faseiller bruyamment, telle la grand’ voile d’un trois mats en péril, avant de s’effondrer. On entend alors scander : “elka“ en levant le pouce, puis “bach“ * en le retournant vers le sol, mimant le geste de la foule des arènes de Rome condamnant à mort les gladiateurs au combat.

Mais au-delà de la drôlerie, nous sommes inquiets car la foule continue de s’écraser contre les barrières et la Croix-Rouge a déjà évacué plusieurs personnes. Des jeunes ont envahi le sommet de la Colonne de Juillet, pas toujours dans une lucidité complète et nous craignons un accident. Même les installations techniques ont été envahies et les câbles électriques désormais non protégés deviennent dangereux.

Aussi, lorsque l’orage lui-même arrive au-dessus de Paris et que des trombes d’eau s’abattent sur nous, c’est finalement un soulagement ! Cela ne chagrine pas plus que cela les plus enthousiastes, visages levés et toujours chantants. L’humour ne perd pas ses droits et on entend même "Mitterrand, du soleil ! ".    

Nous abandonnons donc la place de la Bastille vers 1h30 du matin, laissant encore quelques irréductibles fêtards derrière nous, mais l’allégresse au cœur : la fête a été magnifique, sans l’ombre d’un incident.

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“elka“ et “bach“....allusion à Jean-Pierre Elkabbach, dont la proximité avec le pouvoir sortant était connue.

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