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Le blog de Paul Quilès

Réflexions et informations sur la paix et le désarmement nucléaire, sur la démocratie et sur l'actualité politique.

Le 10 mai vu de Bretagne

Publié le 10 Mai 2021 par Paul Quilès in PS, Politique française

Le 10 mai vu de Bretagne

10 mai 1981. Une journée si particulière

Ce que les téléspectateurs ont d’abord retenu de ce 10 mai 1981, à 20 h précises, lorsque le visage stylisé de François Mitterrand s’est progressivement affiché, c’est la mine déconfite des deux animateurs de la soirée : Jean-Pierre Elkabbach et Étienne Mougeotte.

Contrairement à ce que ces deux journalistes ont probablement pensé à cet instant, le succès de la gauche, après 23 ans de traversée du désert, n’a pas nui à leurs carrières ultérieures. Il n’a pas, non plus, confirmé les sombres prévisions de ceux qui assimilaient déjà l’entrée annoncée de quelques ministres communistes au gouvernement, à l’arrivée des chars soviétiques aux portes de Paris.

S’il ne partage pas un tel alarmisme, ce matin-là, Roger Chinaud, le président du groupe UDF à l’Assemblée nationale, ne se fait pas, non plus, d’illusions sur l’issue du scrutin. Ce qu’il ignore, c’est qu’il n’est pas loin de partager l’analyse de François Mitterrand. Pour l’emporter, il fallait passer les 25 % au premier tour. Or, le candidat socialiste a obtenu 25,85 %.

Ce qui désole surtout Roger Chinaud, c’est la manière dont le président sortant, Valéry Giscard d’Estaing, a quasiment refusé de faire campagne. Quelques mois auparavant, l’interrogeant sur ses intentions, il l’a entendu lui répondre : « Je ne vous ai pas dit que je serai candidat ». « Il a été aveuglé par les sondages qui lui annonçaient une réélection facile », se souvient-il. D’où sa propension à écarter tous les politiques expérimentés de sa campagne et son refus d’admettre que Jacques Chirac qui, lui, n’a pas dépassé les 18 % au premier tour, irait jusqu’à faire voter contre lui, en sous-main, au second tour.

« Tu rêves »

Résultat de ce manque de lucidité : la stupéfiante affiche de campagne, proclamant, « Il faut un président à la France ». Comme s’il ne l’avait pas été depuis sept ans !

Ce 10 mai, Paul Quilès, qui dirige la campagne de François Mitterrand, déjeune avec son équipe rapprochée, dans une brasserie du quartier Saint-Michel. Lui, n’a aucun doute sur l’issue du scrutin. Quelques jours auparavant, François Mitterrand lui a confié : « Depuis le temps que vous dites que je vais être élu. Vous rendez-vous compte, si vous avez raison, les forces qu’il nous a fallu affronter ? ».

Tous ceux qui participent à ce déjeuner ne partagent cependant pas l’optimisme de Paul Quilès. « Tu rêves », lui lance Gérard Le Gall, le spécialiste des sondages. L’échec de 1974 a laissé des traces. De retour à son bureau de la rue de Solférino, siège du PS, Paul Quilès laisse de côté les pronostics, pour se concentrer sur l’intendance. En l’occurrence, la fête qu’il a prévu d’organiser, place de la Bastille, si les circonstances s’y prêtent.

« Tous à la Bastille »

Le camion-podium et celui transportant la sono et les éclairages, sont stationnés discrètement, à Alfortville (Val-de-Marne). Plusieurs artistes, notamment sollicités par Claude Villers, l’animateur de radio, ont fait savoir qu’ils répondraient présent. Pour le moment, le bureau de Paul Quilès est envahi par les responsables socialistes qui viennent aux nouvelles. À 18 h 30, il reçoit un appel très attendu de Jérôme Jaffré, le directeur de la Sofres, l’institut de sondages. Le message est bref. « Paul, François Mitterrand est élu, avec 51, 7 % ». Aussitôt informés, Lionel Jospin masque mal sa fébrilité, Laurent Fabius sanglote, Jacques Attali se voit déjà au sommet…

Paul Quilès, lui, décroche son téléphone pour joindre le Préfet de Police. Celui-ci lui répond avec une suavité jusqu’alors insoupçonnée et note le message : « Nous organisons un événement place de la Bastille, je compte sur vous pour que les forces de police soient discrètes ». Pour le service d’ordre, celui du PS fera l’affaire, utilement renforcé par ceux des deux principales organisations trotskistes, la Ligue Communiste et l’OCI-AJS (Organisation Communiste Internationaliste - Alliance des jeunes pour le socialisme). Car dès 20 h, le réflexe des Parisiens est de sortir de chez eux, dans un concert de klaxons. Le mot d’ordre, même sans les réseaux sociaux, se diffuse aussitôt : « Tous à la Bastille ».

« Tu es ridicule »

François Mitterrand, lui, est à Château-Chinon (Nièvre), la ville dont il fut longtemps le maire. Il apparaît, sous les acclamations et sous les flashs des caméras, à la fenêtre de l’hôtel du Vieux Morvan, où il réside les soirs d’élections. Informé peu de temps auparavant sur l’issue du scrutin, il s’est contenté d’un laconique : « Quelle affaire » ! Venus pour l’escorter sur le chemin de la capitale, les motards doivent encore attendre. Au même moment, Roger Chinaud a compris qu’il serait bien seul pour défendre la cause du battu, sur les plateaux de télévision. La plupart des figures du Giscardisme sont aux abonnés absents. De retour chez lui, il est aussi missionné pour indiquer à qui de droit -en l’occurrence Claude Estier, élu comme lui du 18e arrondissement- et Pierre Bérégovoy, l’interlocuteur désigné par l’Élysée pour organiser la passation des pouvoirs.

Place de la Bastille, la foule se presse, au point de faire trembler les grilles supposées la canaliser. L’autre problème, pour Paul Quilès, qui voulait un moment réservé aux artistes, ce sont les politiques qui se précipitent pour prendre la parole. Même Michel Rocard se saisit du micro et proclame… son admiration pour François Mitterrand. Jusqu’à ce que sa femme, Michèle, le rappelle à l’ordre : « Tu es ridicule ».

Le Breton Jean-Michel Caradec ouvre le bal

Pour abréger le défilé des flatteurs, Paul Quilès pousse le chanteur Jean-Michel Caradec, originaire de Locquénolé, près de Morlaix (29), sur le podium. Il entame une tonitruante « Internationale », reprise par la foule. « Même Gaston Defferre s’y est mis, se souvient-il. Pour lui, c’était probablement une première ». Certes l’ambiance est à la fête, mais la foule étant de plus en plus dense et de moins en moins sobre, il faut éviter que les esprits s’échauffent. C’est Huguette Bouchardeau, leader du PSU, qui s’exprime. « Huguette, abrège », supplie Paul Quilès. La pluie faisant son apparition, l’y incite. Une pluie de plus en plus drue. « Mitterrand du soleil », s’écrie-t-on. On décide tout de même de se séparer. C’est promis, on se reverra, puisque tout commence. Il est plus de minuit lorsque François Mitterrand arrive au siège du PS. Les militants, toujours en nombre, l’applaudissent.

Dans le bureau de celui qui est encore le Premier secrétaire du Parti socialiste, on se presse. « J’ai vu les changements d’attitudes, le bal des courtisans », se souvient un témoin de la scène. Comme dans l’audiovisuel et comme dans bien des entreprises, en particulier celles qui s’attendent à être nationalisées, où les retournements de vestes ne tardent pas. Côté syndicats, François Mitterrand n’a pas perdu de temps. La veille, il a notamment reçu, dans son appartement de la rue de Bièvre, les deux leaders de la CFDT, Edmond Maire et Jacques Chérèque. « Qu’attendez-vous de moi ? », s’est-il enquis. Il a aussi informé Pierre Mauroy qu’il devait se préparer discrètement pour Matignon. Changer la vie, a promis la gauche. En attendant, elle continue.

Le lundi 11 mai, pour sa Une, Le Télégramme a choisi la sobriété. La présidentielle occupe moins de la moitié de l’espace, avec deux titres, factuels : « Mitterrand président, une victoire sans appel » et « En Bretagne, une poussée spectaculaire de la gauche ».

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