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Le blog de Paul Quilès

Réflexions et informations sur la paix et le désarmement nucléaire, sur la démocratie et sur l'actualité politique.

Pour le désarmement nucléaire

Publié le 12 Octobre 2011 par Paul Quilès in Désarmement nucléaire

Paul Quilès a prononcé ce discours sur le désarmement nucléaire lors du sommet de "Global Zero", qui s'est tenu à Los Angeles les 11 et 12 octobre.

Lire le communiqué

                                                 

             Il y a 66 ans, la première bombe atomique, d’une puissance de 15 kilotonnes, était lancée sur Hiroshima, tuant 40% de la population de la ville et causant de très graves blessures à des dizaines de milliers de personnes.

            Pendant les 44 ans qui ont suivi, l’horreur de l’hécatombe d’Hiroshima et de Nagasaki a hanté les esprits. Des règles internationales ont été fixées par des traités pour empêcher la prolifération et des accords ont été passés pour limiter certaines armes. Une doctrine a été élaborée, celle de la dissuasion, selon laquelle le nucléaire constitue une arme de « non emploi », de nature défensive, destinée à effrayer un éventuel agresseur[1]. Malgré cela, les dirigeants des grandes puissances ont continué à diversifier et à accroître de façon ahurissante leurs stocks d’armes nucléaires. 

            Il y a 22 ans, avec la chute du Mur de Berlin et la fin de l’affrontement Est-Ouest, une autre période a commencé, lorsque les Etats-Unis et la Russie ont commencé à négocier la réduction de leur armement nucléaire. Au cours des dernières années, cela s’est traduit notamment par 4 évènements :

Ø  Le l5 avril 2009, à Prague, le Président Obama lançait un appel en faveur d’un « monde sans armes nucléaires ».

Ø  Le 24 septembre 2009, le Conseil de sécurité, par la résolution 1887, affirmait la détermination de l’ONU de « créer les conditions d’un monde sans armes nucléaires ».

Ø  Le 6 avril 2010, Barack Obama publiait une nouvelle doctrine nucléaire[2], dans laquelle il exprimait sa volonté de réduire le rôle de cette arme dans la politique de défense américaine.

Ø  Le 28 mai 2010, la Conférence d’examen du Traité de non-prolifération adoptait un document final prévoyant un plan d’action sur les trois volets du traité.

         Malgré ces avancées indiscutables, le processus de désarmement nucléaire risque de marquer le pas. En effet :

·   Aux États-Unis, l’approche de l’élection présidentielle et les clivages actuels de l’opinion ne sont pas propices à de nouvelles initiatives.

·   En Russie, les forces nucléaires sont perçues comme un moyen de rééquilibrer l’infériorité des forces conventionnelles et de maintenir le statut de grande puissance du pays. Ce n’est donc pas de ce pays que l’on peut attendre à court terme des initiatives fortes en matière de désarmement.

      ·   La Chine, le Pakistan et l’Inde, (les 2 derniers étant détenteurs de l'arme nucléaire non reconnus par le Traité de Non Prolifération), paraissent pour leur part se consacrer sans grand bruit au renforcement constant de leurs arsenaux. Le Pakistan bloque même les négociations en vue de la conclusion d’un traité d’interdiction de la production des matières fissiles.

·   En Europe, les inquiétudes économiques et financières dominent les débats de politique internationale et rendent inaudible la problématique du désarmement nucléaire.

         Dans ce contexte, je considère que l’initiative de Global Zero, à laquelle je m’associe volontiers, peut être très utile : 

          - d’abord pour attirer l’attention des opinions publiques, tenues à l’écart des débats, qui se limitent à des échanges parfois confus et très techniques entre spécialistes militaires, industriels et politiques ;

         - ensuite pour obtenir le soutien à votre démarche de nombreuses personnalités marquantes issues de pays et de milieux différents ;

         - enfin, pour contribuer à l’élaboration d’une stratégie conduisant à l’abolition progressive et totale des arsenaux nucléaires.

         La proposition de retirer dans un premier temps les armes nucléaires tactiques américaines d’Europe peut être une sorte de « porte d’entrée » dans ce débat. Elle peut accélérer la prise de conscience et conduire à cette négociation multilatérale que vous appelez de vos vœux. 

         Pourquoi la France ne se sent-elle pas concernée par ce débat ? Je rappelle que, lorsqu’elle a réintégré la structure militaire intégrée de l’OTAN, la France a tenu à rester à l’écart du Groupe des plans nucléaires, pour marquer l’indépendance de sa posture nucléaire. Sa réticence à l’idée du retrait que vous proposez s’explique par la crainte d’une forme de dénucléarisation d’une partie importante de l’Europe, qui l’empêcherait d’envisager, en cas de crise, d’y déployer ses propres avions dotés de missiles nucléaires. Il y a aussila crainte que les trois escadrons français d’avions à capacité nucléaire soient considérés, à un moment du débat, comme des armes tactiques et qu’une pression s’exerce pour qu’ils soient abandonnés. Plus profondément, je crois que la France redoute une dévaluation de la fonction de dissuasion nucléaire, dont elle fait la garantie fondamentale de sa sécurité. 

         Ces arguments ne me semblent pas totalement pertinents. Il est vrai que la mesure proposée réduirait symboliquement le rôle de l’armement nucléaire dans l’organisation de la sécurité du continent. Mais ce serait aussi le gage, d’ailleurs tout aussi symbolique, d’une moins grande dépendance de l’Europe à l’égard de l’armement nucléaire américain. La France, qui plaide depuis longtemps pour que l’Europe s’en remette moins au protecteur américain, ne pourrait qu’y trouver une confirmation de ses thèses !

         Quant à l’inclusion des avions nucléaires français dans la catégorie des armes tactiques, elle méconnaîtrait le fait que les armes nucléaires aéroportées françaises sont stationnées sur le territoire ou sur un bâtiment français. Elles ne peuvent donc pas être assimilées aux armes américaines déployées hors des États-Unis.

         Il n’en reste pas moins que, si une négociation russo-américaine sur l’ensemble des armements nucléaires s’engageait et aboutissait à un abaissement significatif des arsenaux, la France et le Royaume-Uni seraient tenus de s’y joindre, sous peine de manquer à l’obligation de désarmement que ces pays ont contractée en adhérant au TNP.

         Toutefois, pour qu’elle ait des chances réelles de succès, il faudra que soit conclue une entente entre la Russie et l’OTAN sur la défense antimissile balistique. A cet égard, on ne peut que s’inquiéter de la mise en place par les États -Unis, sans un dialogue adéquat avec la Russie, d’un puissant radar dans le sud-est de la Turquie et d’intercepteurs de type SM-3 dans le sud de la Roumanie et en Pologne. Je pense que la France, qui partage avec la Russie le souci que la défense antimissile ne porte pas préjudice à la crédibilité de sa dissuasion, pourrait jouer un rôle actif de médiation dans le rapprochement des points de vue des Russes et des alliés.

         Mais, pour devenir un acteur plus dynamique du désarmement nucléaire, la France devra réviser sa propre doctrine et j’espère que l’alternance politique qui se prépare rendra bientôt cela possible. Le discours français sur la dissuasion ne peut rester immuable, alors que la situation stratégique a changé du tout au tout. Il va falloir reconnaître expressément que l’arme nucléaire a perdu la fonction fondamentale qu’elle exerçait pendant la guerre froide, dès lors que la France et l’Europe ne sont plus exposées à une menace d’agression massive.

         Aujourd’hui déjà, notre arsenal nucléaire n’a comme seule fonction que de garantir contre une agression nucléaire. Il est donc souhaitable d’envisager de nouvelles mesures de réduction, en abandonnant la démarche unilatérale dont la France a fait jusqu’à  présent un axiome. Elle ne doit plus refuser par principe de s’engager à terme dans un cadre multilatéral de discussion avec les autres puissances nucléaires reconnues.


[1] C’était  la « destruction mutuelle assurée » (si bien dénommée en anglais : MAD….donc fou !).

[2] Nuclear Posture Review

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