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Le blog de Paul Quilès

Réflexions et informations sur la paix et le désarmement nucléaire, sur la démocratie et sur l'actualité politique.

Moi, ancien ministre de la défense....

Publié le 28 Février 2013 par Paul Quilès in Désarmement nucléaire

Ecoutez l'interview de Paul Quilès sur Sud Radio

Tribune de Paul Quilès, publiée sur
le site du Huffington Post
 
      explosion nucléaire-copie-1« Arrêtez la bombe ! » : c’est le cri que nous lançons dans le livre que j’ai écrit avec le Général Norlain et Jean-Marie Collin et qui sort en librairie aujourd’hui. Nous avons voulu, avec cet ouvrage, montrer la réalité des multiples dangers de l’arme nucléaire, ainsi que les ambigüités et les contradictions de la doctrine qui lui est associée, la dissuasion.
 
      On me dit qu’il est bien audacieux de vouloir remettre en cause le fameux « consensus français» sur la bombe, présentée comme notre « assurance vie », « la garantie de notre indépendance ». J’entends même dire que qu’il faut une bonne dose de mauvaise foi pour évoquer des dangers qui n’existent pas, puisqu’on nous affirme que l’arme nucléaire serait une « arme de non emploi » !
 
      Si c’est ce que vous pensez, lisez vite « Arrêtez la bombe ! ». Vous y trouverez la preuve que ces dangers existent bien et que la bombe atomique a failli servir à plusieurs reprises depuis 60 ans. Vous verrez que les doctrines de mise en œuvre de l’arme nucléaire ont beaucoup varié depuis sa première utilisation le 6 août 1945 à Hiroshima. Vous pourrez juger de la pertinence des analyses et des arguments des militaires, des industriels, des politiques, des experts, des médias, dans leur défense de la dissuasion. Vous comprendrez pourquoi il n’y a jamais de débat public sur le sujet et pourquoi on préfère se contenter de répéter les formules du catéchisme nucléaire.
 
      On me dit aussi qu’il est surprenant qu’un ancien ministre de la défense ose proposer que la France « baisse la garde »[1], dans un monde dangereux, menacé par la prolifération nucléaire et par les projets de l’Iran et de la Corée du Nord. L’accusation d’irresponsabilité n’est pas loin, de la part de ceux qui font le « complexe Albert Lebrun », en référence à ce président de la République accusé d’avoir mal préparé l’armée française à la dernière guerre mondiale.
 
      Certains vont même jusqu’à dénoncer un glissement pacifiste, comme s’il s’agissait d’une tare ! Socialiste, je ne me sens pas agressé par ce mot, pour autant qu’on en précise bien le sens. Ma proximité avec la pensée de Jean Jaurès m’autorise à rappeler que le grand tribun et penseur socialiste, assassiné à la veille de la première Guerre mondiale pour ses idées « pacifistes », était l’auteur de « l’Armée nouvelle ». Dans ce remarquable livre[2]publié en 1911, Jaurès développait longuement l’histoire militaire de la France et montrait comment il était possible de défendre son pays tout en œuvrant activement à la sécurité internationale.
 
      Pour ma part, depuis la fin des années 80, j’ai pris conscience progressivement de l’absurdité de l’arme nucléaire, de la confusion des doctrines qu’elle implique, de l’impréparation des dirigeants, de l’influence dangereuse du « complexe militaro-industriel »[3]. Lorsque le Mur de Berlin est tombé, j’ai constaté que le démantèlement du bloc soviétique, qui mettait fin à la bipolarisation du monde et qui marquait une rupture majeure sur la scène internationale n’avait fait émerger aucune nouvelle doctrine de sécurité. La dissuasion nucléaire - qui consiste à exposer son adversaire à un risque de destruction massive – restait le pilier des politiques de défense, notamment en France. C’est à partir de l’année 1995, qui a vu se dérouler le seul débat sur l’armement nucléaire dans l’Hémicycle de l’Assemblée Nationale[4], que je me suis prononcé clairement pour l’objectif d’un monde débarrassé d’armes nucléaires.
 
      C’est pour cela que je prends le risque d’être accusé de commettre un acte impie ou de lèse majesté, en dénonçant les idées reçues sur la pertinence de l’arme nucléaire qui, pour être martelées, n’en sont pas moins contestables. Les menaces auxquelles nous devions faire face hier sont à ranger au nombre des peurs du passé et la théorie de la dissuasion nucléaire n’est plus adaptée au monde en mouvement de ce début de 21ème siècle. Aujourd’hui, c’est l’existence même des armes nucléaires, couplée au risque de prolifération et de terrorisme nucléaire, qui constitue paradoxalement la véritable menace.
 
      C’est plus par le multilatéralisme et les traités comme le TNP[5] qu’on combattra la prolifération nucléaire que par la dissuasion. Par ailleurs, établir un lien entre la possession de l’arme nucléaire et « le statut de grande puissance », comme on l’entend souvent, peut inciter certains pays à s’en équiper, alors que le but du TNP, ratifié par la quasi-totalité des membres de l’ONU (189), est au contraire d’aller vers une disparition des armes nucléaires[6].
 
      Le livre « Arrêtez la bombe ! » ne défend pas l’idée, peu crédible, d’un désarmement unilatéral et immédiat de la France, mais il trace les voies possibles d’une démarche multilatérale de désarmement nucléaire. Il en précise les étapes, les délais et les moyens, dans la ligne de l’appel du mouvement Global Zero, soutenu par un grand nombre de personnalités à travers le monde[7]. Il montre aussi, exemples à l’appui, ce que devrait faire concrètement la France pour s’associer à ce mouvement, au lieu de rester figée sur des concepts dépassés.
                                                                                                                
      On m’objectera peut-être que d’autres sujets, plus intéressants ou plus immédiats, occupent l’actualité. Je n’aurai pas le mauvais goût de faire le tri dans les thèmes qui embouteillent les écrans, les ondes ou les unes des journaux. Je souhaite seulement que l’on veuille bien s’éloigner quelques instants des injonctions de l’immédiateté médiatique pour lancer un débat qui n’a pas eu lieu en France et qui n’est pas mineur, puisqu’il s’agit de réfléchir à la meilleure façon d’organiser la sécurité de notre pays et de préparer un monde plus sûr.    
[1] Expression utilisée par le Président Chirac en 1995, pour critiquer la position de ceux (dont j’étais) qui s’opposaient à la reprise des essais nucléaires.
 
[3] Dans son discours de fin de mandat (17 janvier 1961), le Président américain Eisenhower  mettait en garde les Etats-Unis contre les dangers du "complexe militaro-industriel", dont "l’influence illégitime  risquait de mettre en cause les libertés ou les méthodes démocratiques"  (www.voltairenet.org/article15891.html)
 
[4] Débat sur la reprise des essais nucléaires (13 décembre 1995)
 
[5] TNP : Traité de Non Prolifération, signé le 1er juillet 1968.
 
[6] Article VI du TNP.
 
[7] Dont le probable futur secrétaire d’Etat américain à la défense, Chuck Hagel.
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