Ce texte de Rémi Lefebvre,
Professeur de sciences politiques à l’université Lille 2
et membre du Conseil politique de Gauche Avenir,
est le résumé d'un article publié
dans Le Monde diplomatique (mai 2010).
« Nous pensons que s’il y a peu de candidats aux primaires du PS, entre quatre et cinq, nous pouvons faire un scrutin à deux tours sans difficulté. En revanche, s’il y a un grand nombre de candidats, nous ne voudrions pas passer des mois à porter une dizaine de candidatures. Ce serait peu lisible, incompréhensible (…) Nous ferons, avant l’été 2011, une sorte de préqualification[i]. »
Dans un passé pas si lointain, le député et secrétaire national du PS à la rénovation, M. Arnaud Montebourg, prônait la suppression de l’élection présidentielle au suffrage universel direct. Le 13 avril, il a remis un rapport sur l'organisation de primaires aux instances du parti.
Les militants socialistes seront appelés à l’approuver par vote, le 20 mai prochain. Dès l'été 2011, ce processus doit permettre de désigner le candidat socialiste – et peut-être celui d’une partie de la gauche – à l’élection présidentielle de 2012. Pour la première fois, ces primaires « ouvertes et populaires » concerneront tout le corps électoral. Pour y prendre part, il suffira d’être inscrit sur les listes électorales, de s’acquitter d’une cotisation volontaire destinée à leur autofinancement et de signer une déclaration marquant son adhésion aux « valeurs de gauche ».
Pour ses promoteurs, ce nouveau mode de désignation offre un moyen efficace de trancher la question lancinante du « leadership » – nouveau mot fétiche du discours socialiste et médiatique – de « déverrouiller » un parti miné par les divisions et d’élargir la base de légitimité du futur candidat. Présentée par les médias comme une forme de « démocratisation » – puisqu’elle donne aux sympathisants un rôle qui relevait jusque là du monopole des adhérents –, cette nouvelle procédure consacre en fait la dépolitisation du débat public et la dévaluation du militantisme.
Selon toute évidence, la procédure départagera des leaders avant de trancher des options idéologiques ou programmatiques. Elle entérine la délégitimation d’une forme héritée du mouvement ouvrier, le parti, qui, renvoyé à une forme d’archaïsme, est voué à ne plus être à l’avenir qu’une machine électorale. Le PS se conforme ainsi, jusque dans son fonctionnement interne, à la présidentialisation du régime de la Cinquième République – renforcée par M. Nicolas Sarkozy – qu’il cherchait jadis à subvertir. La personnalisation de la vie politique, donnée jugée intangible, est de fait avalisée par les socialistes comme l’horizon indépassable de la démocratie – à l’instar de l’économie de marché.
Comment les primaires se sont-elles imposées comme « la » solution procédurale à la « crise » que traverserait le PS ? C’est la conjonction de l’activisme d’une coalition – associant outsiders du jeu interne, le think tank Terra nova et une partie de la presse de centre gauche – ainsi que la lente décomposition organisationnelle du parti, sa désidéologisation et son incapacité à se « rénover » qui ont rendu possible, pensable et « incontournable » ce nouveau mode de désignation.
Les primaires renforcent une tendance qui s’était déjà manifestée au PS lors de l’élection de 2007, marquée par un premier glissement vers la « démocratie d’opinion » et l’affaiblissement des logiques partisanes. Consacrée « présidentiable » par les médias, Mme Ségolène Royal avait largement contourné le parti, disqualifiant son « appareil » et ses « éléphants » et s’imposant dans l’opinion, avant d’être investie par les militants qui avaient entériné le verdict des sondages. S’émancipant alors significativement de leur tradition historique, ceux-ci choisirent la porte-parole qui optimisait le mieux leurs chances collectives de victoire et non celle qui incarnait leur préférence programmatique ou idéologique. Mme Royal fut ainsi désignée sans avoir conquis préalablement le leadership au sein de son parti (à l’inverse d’un François Mitterrand ou d’un Lionel Jospin) ni exercé de responsabilités éminentes en son sein.
(….)
Le PS est l’héritier lointain d’une tradition issue du mouvement ouvrier qui valorise la légitimité militante. Celle-ci renvoyait à l’idée d’avant-garde théorisée par le marxisme qui fut longtemps une des matrices idéologiques du socialisme français. Dans cette perspective, le parti est un outil d’émancipation, aux avant-postes de la société. Il l’éclaire, la structure, l’encadre, la politise, donne aux dominés « la science de leur malheur ,» pour reprendre l’expression de Fernand Pelloutier[ii]. Ce modèle, le PS ne l’a jamais historiquement pleinement incarné, mais il constituait une fiction nécessaire.
C’est cette conception du parti comme creuset politique, lieu de délibération, d’éducation de mobilisation qui est aujourd’hui démonétisée. Le militant est en quelque sorte dépossédé de ses prérogatives traditionnelles. A quoi bon militer dans un parti politique si rien ne distingue le militant du sympathisant ? Si les frontières du dedans et du dehors du parti disparaissent ? Si l’opinion tend à faire le parti (ou le défaire) et si les médias font l’élection ?
Incapables de se « rénover », les socialistes installent et légitiment l’idée que le PS lui-même est dépassé, qu’on peut en faire l’économie. Plus : si on ne peut le changer, pourquoi ne pas le liquider ?