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Le blog de Paul Quilès

Réflexions et informations sur la paix et le désarmement nucléaire, sur la démocratie et sur l'actualité politique.

Interview de Paul Quilès dans l'Obs

Publié le 14 Mars 2020 par Paul Quilès in Désarmement nucléaire

Interview de Paul Quilès dans l'Obs

 

 

Que pensez-vous du discours d’Emmanuel Macron qui évoque un possible élargissement de la dissuasion nucléaire française au cadre européen ?

 

Martial et hautain : je ne suis pas étonné du mauvais accueil que lui ont fait nos partenaires. Sa proposition dénote un sens très français de la sécurité européenne : au lieu de rechercher d’éventuelles convergences, Emmanuel Macron affirme, seul, l’inflexibilité de sa doctrine nucléaire. Voilà qui n’invite pas à une discussion entre égaux. En outre, ce discours est en contradiction avec les engagements de la France à l’égard  du Traité de non-prolifération nucléaire. Lors de la dernière conférence du TNP, notre pays avait réaffirmé sans équivoque son objectif de participer à l’élimination complète des armes nucléaires, et de réduire leur importance dans les concepts et doctrines militaires et de sécurité. Tout en feignant un attachement au multilatéralisme, Emmanuel Macron piétine en réalité le seul instrument adopté par la quasi-totalité des Etats.

 

N’est-il pas utile de poser les contours d’une défense nucléaire européenne ?

 

Il est inutile de tenter de le faire sans définir dans un premier temps nos intérêts communs et les menaces potentielles qui pèsent sur l’Union européenne. Sont-elles les mêmes pour le Portugal, la France et les pays baltes ? La vérité est que la plupart des pays européens continuent de compter sur le parapluie nucléaire américain, et que personne, y compris Emmanuel Macron, ne remet en cause l’existence des 190 armes nucléaires tactiques américaines stationnées en Europe, toutes obsolètes…mais en cours de modernisation pour les rendre utilisables dans une bataille nucléaire !

 

Votre dernier ouvrage s’intitule « L’illusion nucléaire ». Macron en serait-il victime ?

 

Le principe qui fonde la dissuasion nucléaire, la « destruction mutuelle assurée », suppose que votre adversaire ne vous fera pas de mal par peur de destructions sur son propre sol. En soi, c’est déjà absurde : on laisse entre les mains du président cette alternative d’être soit génocidaire, soit suicidaire ! Et l’évolution récente des doctrines nucléaires est extrêmement inquiétante. A la fin de la Guerre froide, l’arme nucléaire devait se limiter à un rôle fondamentalement politique et il était alors impensable de répliquer à une attaque conventionnelle par une attaque nucléaire. Avec la réduction de la puissance des armes et l‘accroissement de leur précision, les puissances nucléaires laissent désormais ouverte cette possibilité. Selon William Perry, l’ancien secrétaire d’Etat de Bill Clinton, l’éventualité d’une catastrophe nucléaire est plus élevée aujourd’hui qu’à n’importe quel moment de la Guerre froide. En France, le nucléaire militaire, qui coûtera désormais 6 milliards d’euros par an au contribuable, est devenu une religion, un dogme que nul ne doit discuter. Ce non-sens est permis par l’absence totale de débat public sur la question.

 

Propos recueillis par Timothée Vilars

 

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