Tribune publiée sur le site de
Marianne2
Pour François Hollande, le sommet de l’OTAN à Chicago, qui va réunir
dimanche et lundi au plus haut niveau les responsables des 28 pays de l’Alliance Atlantique sera particulièrement important.
Je souhaite que cette rencontre lui donne l’occasion de faire entendre une voix nouvelle de la France sur plusieurs dossiers essentiels qui concernent la
sécurité internationale.
L’Afghanistan
Contrairement à ce qu’on entend depuis quelques
jours, le retrait des troupes françaises d’Afghanistan ne sera pas le sujet le plus complexe de l’ordre du jour très fourni de ce sommet.
En effet, le départ des 3400 militaires français d’Afghanistan fin
2012 –auquel s’est engagé François Hollande- ne devrait pas poser de problème majeur à l’OTAN, puisque notre contingent représente moins de 3% de la coalition internationale.
Quant aux Etats-Unis, qui ont prévu d’engager un
retrait à hauteur de 30 000 hommes par an, ils auraient mauvaise grâce à faire des commentaires désobligeants. La question n’est donc pas de savoir si la France risque d’être dénoncée
comme « rompant la solidarité atlantique », d’autant plus que les Pays Bas et le Canada ont déjà retiré leur contingent !
La question n’est pas non plus de nature technique
(difficultés et coût des opérations d’évacuation du matériel), puisque ce n’est qu’à partir de 2013 que les aéroports de Kaboul et de Bagram risquent d’être embouteillés par le retrait
américain.
La vraie question est celle de la situation de
l’Afghanistan après 2014, lorsque toutes les troupes de l’OTAN s’en seront retirées. Tant qu’une conférence internationale associant les principaux pays concernés par le conflit afghan (Pakistan,
Inde, Chine, Russie, Etats-Unis…) n’aura pas été organisée (voir ma proposition sur ce blog), le pays continuera à vivre dans un climat de confusion permanente, malgré une aide internationale
considérable (4,1 milliards de dollars par an, dont 100 millions pour la France).
Il faudra cependant que les pays occidentaux
acceptent aussi de « s'interroger sur le phénomène de développement des Etats faillis (….) où se développent tous les cancers, terrorisme, trafics en tous genres, criminalité organisée.
Il est en effet illusoire de penser que ces menaces puissent se traiter uniquement à coup d'opérations militaires qui ont montré leurs limites » (Jean-Pierre Maulny, directeur-adjoint
de l’IRIS)
Les armes nucléaires tactiques en Europe
Ces armes nucléaires de courte portée sont
destinées à frapper le front des forces conventionnelles ennemies et leurs infrastructures. Le débat devrait porter sur l’opportunité de retirer les 180 bombes nucléaires tactiques américaines («
bombes à gravité » obsolètes et sans intérêt opérationnel), qui sont toujours entreposées sur le territoire de cinq pays membres de l’OTAN : Büchel en Allemagne, Kleine Brogel en
Belgique, Volkel aux Pays-Bas, Aviano (base américaine) et Ghedi-Torre en Italie, Incirlik (base américaine) en Turquie.
Sur les 28 membres de l'OTAN, 14 sont en faveur du
retrait, 10 ne feront pas d'actions de blocage, trois (Hongrie, Lituanie, France) s'opposent à cette mesure.
L'attitude très négative adoptée par la France
jusqu’ici, sous l’impulsion de N. Sarkozy, est paradoxale, quand on sait que la France a toujours œuvré dans le sens d’une plus grande coopération internationale. En refusant ce qui apparaît
comme une large volonté multilatérale, elle va à l'encontre de cette position.
De plus, cet armement n’a aucun avenir, pour des
raisons :
- techniques, parce qu’il faudrait moderniser les
bases accueillant ces armes, afin d’éviter des risques d'accident ou d’action terroriste ;
- économiques, parce que la Belgique et l'Allemagne
sont dans l'obligation d'acheter de nouveaux bombardiers, très coûteux, pour lesquels ces pays ne sont pas prêts à engager la dépense ;
- politiques, parce que l’opinion publique est très
favorable à ce retrait en Allemagne, en Belgique et en Norvège.
Deux organisations internationales influentes ont
lancé des appels en ce sens, auxquelles je me suis associé. C’est le cas du mouvement « Global Zero »[1] et du réseau ELN[2], qui vient de rendre public un texte signé par 45
personnalités européennes.
Si la France, en rupture avec la politique suivie par
N. Sarkozy, appuyait la demande des pays favorables, au sein de l’OTAN, au retrait d’Europe des armes nucléaires tactiques américaines (ANT), cela marquerait une sorte de renaissance
de la diplomatie de la France en matière de désarmement. De plus, l’axe franco-allemand serait renforcé, notamment dans le domaine de la défense.
La défense antimissile
Cette question fait partie des obsessions américaines
depuis au moins 30 ans. On se souvient par exemple du projet pharaonique d’IDS (« Initiative de Défense Stratégique », plus connue sous le nom de « guerre des
étoiles ») voulu par Ronald Reagan.
Cette idée, abandonnée, d’un bouclier de protection
des Etats-Unis contre toute attaque de missile balistique est revenue sous une forme édulcorée, mais toujours coûteuse. Pourtant, l’intérêt d’une défense anti missile, en complément ou en
substitution de la dissuasion, fait toujours l’objet de débats, sans même parler de la réalité de la menace, qui n’est toujours pas clairement définie!
Le projet de défense anti missile prévu par l’OTAN
concerne les Etats –Unis, mais aussi la « protection des territoires et des populations des pays européens de l’Alliance ». Au sommet de Chicago, il est prévu, sur la demande
des Etats-Unis, de déclarer une première capacité opérationnelle dite « intérimaire » du système, sur la base des capacités américaines, qui sont les seules existantes pour
l’instant.
Il est politiquement préoccupant que l’Europe
reconnaisse ainsi qu’elle dépend pour sa protection d’un système purement américain. De plus, il apparaît clairement qu’une participation européenne et notamment française aux programmes d’alerte
et d’interception est impossible à financer dans l’avenir proche.
Tout au plus, il pourrait être envisageable, dès lors
que les pays européens auront retrouvé des marges de manœuvre budgétaires, qu’une contribution collective européenne soit proposée, à condition qu’elle soit liée à une pleine participation des
Européens aux programmes industriels et aux décisions.
L’autre problème majeur que pose ce projet concerne
la relation avec la Russie, qui se sent menacée et qui demande des garanties, au minimum par le biais d’échanges d’informations techniques, que le système ne sera pas dirigé contre
eux. Dès lors que ces garanties ne limitent pas la liberté d’action des Européens, il n’y a pas de
raison de les leur refuser. S’il est réélu, il semble d’ailleurs probable que Barack Obama envisage d’accorder à la Russie des garanties de ce type.
En se prononçant plus fermement pour une politique de
défense anti-missile compatible avec le maintien de bonnes relations avec la Russie, la France contribuerait à un environnement de sécurité favorable au développement des relations entre l’Union
européenne et son voisinage oriental. Elle préserverait également les chances d’une coopération avec la Russie au Conseil de sécurité de l’ONU.
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Une position claire et nouvelle de la France
lors des débats de ce sommet de Chicago pourrait ainsi donner le départ d’une diplomatie plus engagée de notre pays en faveur de la paix et du désarmement, conforme au message de François
Hollande dans sa campagne, lorsqu’il affirmait « Je veux porter haut la voix et les valeurs de la France dans le monde ».
[1] Créé en décembre 2008, Global Zero est le plus important mouvement international pour l’élimination des armes nucléaires. Soutenu par plus de
450 000 citoyens, Global Zero est appuyé par 300 personnalités, dont Richard Burt, négociateur en chef américain du traité de désarmement START 1, Malcolm Rifkind, ancien ministre britannique
des affaires étrangères, Michel Rocard, le général Norlain ou Hans Blix. Le Président Barack Obama et le Secrétaire Général des Nations Unies Ban Ki-moon apportent également leur soutien à ce
mouvement.
[2] ELN (European Leadership Network) est composé d’anciens responsables européens de la défense et des affaires étrangères, parmi
lesquels on retrouve notamment Javier Solana, ancien secrétaire général de l’OTAN, Margaret Becket, ancienne ministre britannique des affaires étrangères, Volker Rühe, ancien ministre
allemand de la défense, Massimo D’Alema, ancien premier ministre italien…..