Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le blog de Paul Quilès

Réflexions et informations sur la paix et le désarmement nucléaire, sur la démocratie et sur l'actualité politique.

Insulte ou approximation?

Publié le 2 Octobre 2011 par Paul Quilès in International et défense

               Cette tribune a été publiée dans Libération du 30 septembre 2011,
sous le titre "le travail de notre mission a été une première".
La réponse de S.Bourmeau à ma tribune m'amène à faire
une mise au point que l'on trouvera en bas de ce document*.
                                                                Paul Quilès
********** 

            L’éditorial de Libération du 12 septembre signé par S.Bourmeau et intitulé « Insulte » fait preuve de mépris à l’égard du travail minutieux et approfondi réalisé par la Mission parlementaire sur le Rwanda, que j’ai eu l’honneur de présider en 1998. Car c’est bien  à ce titre que je m’exprime sur le génocide dont furent victimes les Tutsis rwandais et non comme « ex-ministre de la défense » (1985-86), qui n’a rien eu à voir ni à connaître de la tragédie qui s’est déroulée en 1994.

 

            Si ce n’est pas du mépris, peut-être s’agit-il d’une méconnaissance de ce qui s’est vraiment passé. Où S. Bourmeau a-t-il vu que j’aurais « empêché une véritable enquête parlementaire », alors qu’il m’a fallu me battre pour obtenir la constitution de cette mission, qui a enquêté pendant neuf mois?

 
     Les 40 députés qui faisaient partie de la mission ont auditionné pendant 110 heures 88 personnes, des responsables politiques, des militaires, des diplomates, des universitaires, des civils français et rwandais. Ces auditions ont été exceptionnelles, tant par leur nombre que par leur caractère détaillé et approfondi. La plupart d’entre elles ont été publiques, ouvertes à la presse écrite et audiovisuelle. Certaines ont même été télévisées en direct. Les rapporteurs se sont rendus à Bruxelles, à Washington, au siège des Nations Unies à New York, ainsi qu’au Rwanda, en Ouganda, au Burundi et en Tanzanie. Les témoignages des 74 personnes qu’ils ont rencontrées par ailleurs ont été intégralement et rigoureusement pris en considération dans le cadre de la méthode de travail définie par la mission parlementaire. Nous avons analysé 15 000 pages de textes, de télégrammes diplomatiques et de documents militaires ; pour 7000 pages, la classification "secret défense" a été levée et certaines d’entre elles ont été publiées en annexe de ce rapport de 1500 pages .
 
     Le travail de notre Mission a été considéré comme une grande première. C’était en effet la première fois sous la Vème République que le Parlement enquêtait sur le "domaine réservé"  que constituent la défense et la politique étrangère. Et nous l’avons fait sans complaisance aucune, ce qui a d’ailleurs amené les députés de droite à ne pas voter le rapport.
      Par ailleurs, je suis surpris de la discrétion de cet éditorial à l’égard du "rapport Mucyo", commandé par le gouvernement de M. Kagamé et publié il y a 3 ans. Son objet était de  "prouver" l’implication de la France dans l’organisation et la conduite du génocide. On y prétend que "la France et l’armée française ont participé à l’exécution du génocide"  et que les soldats de l’opération Turquoise  "étaient venus au Rwanda pour tuer des Tutsis". Rien de moins…. Cet oubli s’explique lorsque l’on lit dans l’éditorial que "l’implication de notre République dans ces atroces massacres" et sa "complicité" seraient évidentes !
 
     S. Bourmeau sait-il que de nombreuses commissions à travers le monde ont également cherché à comprendre ce qui avait rendu possible le génocide? Je pense notamment à la commission du Sénat de Belgique (rapport du 6 décembre 1997), à la commission indépendante instituée par Kofi Annan sur le rôle de l’ONU (rapport du 16 décembre 1999), au panel international mis en place par l’OUA (2000), aux travaux conduits souvent avec beaucoup de rigueur par des ONG et des chercheurs, sans parler des faits mis au jour dans le cadre des procédures judiciaires consécutives au génocide (enquêtes et audiences du Tribunal pénal international pour le Rwanda, instructions conduites par des juges français et espagnols).
    
     Il y a 3 ans, j’ai demandé au Secrétaire général des Nations Unies, M. Ban Ki-moon, de soumettre l’ensemble de ces travaux à l’examen d’une commission de personnalités indépendantes à l’expertise reconnue. Cette commission aurait été chargée de procéder à l’évaluation de toutes les enquêtes conduites sur ces évènements et d’établir, à l’intention des gouvernements et des opinions, une analyse impartiale et incontestable. Ses travaux auraient apporté une contribution essentielle aux efforts de réconciliation et de reconstruction dans la région des Grands Lacs. Le refus de M.Ban Ki-moon m’a beaucoup déçu.
 
     Je ne conteste naturellement pas le principe du rétablissement de relations diplomatiques normales avec le Rwanda, d’autant que la France entretient des relations avec des Etats, pas avec des régimes. Je considère cependant -et j’ai fait part de ce point de vue au Président de la République- que ce rétablissement ne devrait pas se faire au prix de l’acceptation, même implicite d’une présentation des évènements tragiques de 1994, qui impute mensongèrement à la France la responsabilité de ces drames.
 
     Le président rwandais, Paul Kagamé, vient de déclarer qu’il ne demandait pas que la France présente des "excuses" pour son rôle au Rwanda en 1994. Cela me semble être un premier pas dans la bonne direction, puisque cette déclaration revient à abandonner de fait les charges injustement portées contre la France.
_________________________________________________________________________
* Réponse de Paul Quilès à Sylvain Bourmeau

 

     Puisque, à la suite de mon droit de réponse publié le 30 septembre, vous semblez vouloir relancer le débat pour justifier vos propos, permettez - moi de m’étonner des arguments que vous utilisez :

     1- pour vous, le Président d’une commission parlementaire ne pourrait pas présider une mission d’information, parce qu’il a été 12 ans plus tôt ministre de la défense pendant 6 mois ! Cette forme de suspicion jetée sur mon honnêteté et mon impartialité est tout simplement insupportable.

     2- l’objet de la mission n’était pas, comme vous le dites, de « questionner les militaires » (ce que nous avons d’ailleurs fait abondamment au cours des 9 mois de notre enquête), mais d’apporter un éclairage rigoureux sur le génocide et sur les évènements qui y ont conduit, en établissant le rôle joué par la France, les grandes puissances et la communauté internationale dans son ensemble.

     3- il n’était pas possible, en raison des dispositions de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires  (qui "prohibe expressément la création d’une commission d’enquête lorsque les faits ont donné lieu à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours") de mettre en place une « commission d’enquête », compte tenu de l’existence d’une procédure judiciaire qui concernait la mort des Français tués dans l’attentat contre l’avion du président Habyarimana. De plus, vous devez savoir que la durée d’une commission d’enquête ne peut excéder 6 mois, alors qu’il nous a fallu plus de 9 mois pour réaliser le travail considérable que j’ai rappelé dans ma tribune.

       
S'agissant du "fond", vous renvoyez "les lecteurs à l'article de M.Franche", qui précède ma tribune. Cette violente et haineuse diatribe n'est qu'un "best of" des arguments sommaires et partisans ressassés depuis 13 ans par les tenants de la thèse de la "complicité de la France", auxquels il a été régulièrement répondu. Elle ne contribuera certainement pas à la compréhension des raisons de l'épouvantable génocide des Tutsis et des Hutus modérés qui a endeuillé le Rwanda.     

        Enfin, je remarque que, dans votre souci de placer mon passage au ministère de la défense « il y a des lustres », vous citez Tchernenko comme dirigeant de l'URSS, parmi les grands "dinosaures" qui dirigeaient le monde à cette époque. Il se trouve que Tchernenko est mort 6 mois avant mon arrivée au ministère et que Gorbatchev lui avait succédé......

Commenter cet article