Paul Quilès
L’éditorial de Libération du 12 septembre signé par S.Bourmeau et intitulé « Insulte » fait preuve de mépris à l’égard du travail minutieux et approfondi réalisé par la Mission parlementaire sur le Rwanda, que j’ai eu l’honneur de présider en 1998. Car c’est bien à ce titre que je m’exprime sur le génocide dont furent victimes les Tutsis rwandais et non comme « ex-ministre de la défense » (1985-86), qui n’a rien eu à voir ni à connaître de la tragédie qui s’est déroulée en 1994.
Si ce n’est pas du mépris, peut-être s’agit-il d’une méconnaissance de ce qui s’est vraiment passé. Où S. Bourmeau a-t-il vu que j’aurais « empêché une véritable enquête parlementaire », alors qu’il m’a fallu me battre pour obtenir la constitution de cette mission, qui a enquêté pendant neuf mois?
Il y a 3 ans, j’ai demandé au Secrétaire général des Nations Unies, M. Ban Ki-moon, de soumettre l’ensemble de ces travaux à l’examen d’une commission de personnalités indépendantes à l’expertise reconnue. Cette commission aurait été chargée de procéder à l’évaluation de toutes les enquêtes conduites sur ces évènements et d’établir, à l’intention des gouvernements et des opinions, une analyse impartiale et incontestable. Ses travaux auraient apporté une contribution essentielle aux efforts de réconciliation et de reconstruction dans la région des Grands Lacs. Le refus de M.Ban Ki-moon m’a beaucoup déçu.
Puisque, à la suite de mon droit de réponse publié le 30 septembre, vous semblez vouloir relancer le débat pour justifier vos propos, permettez - moi de m’étonner des arguments que vous utilisez :
1- pour vous, le Président d’une commission parlementaire ne pourrait pas présider une mission d’information, parce qu’il a été 12 ans plus tôt ministre de la défense pendant 6 mois ! Cette forme de suspicion jetée sur mon honnêteté et mon impartialité est tout simplement insupportable.
2- l’objet de la mission n’était pas, comme vous le dites, de « questionner les militaires » (ce que nous avons d’ailleurs fait abondamment au cours des 9 mois de notre enquête), mais d’apporter un éclairage rigoureux sur le génocide et sur les évènements qui y ont conduit, en établissant le rôle joué par la France, les grandes puissances et la communauté internationale dans son ensemble.
3- il n’était pas possible, en raison des dispositions de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement
des assemblées parlementaires (qui "prohibe expressément la création d’une commission d’enquête lorsque les faits ont donné lieu à des poursuites
judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours") de mettre en place une « commission d’enquête », compte tenu de l’existence d’une procédure judiciaire
qui concernait la mort des Français tués dans l’attentat contre l’avion du président Habyarimana. De plus, vous devez savoir que la durée d’une commission d’enquête ne peut excéder 6 mois,
alors qu’il nous a fallu plus de 9 mois pour réaliser le travail considérable que j’ai rappelé dans ma tribune.
S'agissant du "fond", vous renvoyez "les lecteurs à l'article de M.Franche", qui précède ma
tribune. Cette violente et haineuse diatribe n'est qu'un "best of" des arguments sommaires et partisans ressassés depuis 13 ans par les tenants de la thèse de la "complicité de la
France", auxquels il a été régulièrement répondu. Elle ne contribuera certainement pas à la compréhension des raisons de l'épouvantable génocide des Tutsis et des Hutus modérés qui a
endeuillé le Rwanda.
Enfin, je remarque que, dans votre souci de placer mon passage au ministère de la défense « il y a des lustres », vous citez Tchernenko comme
dirigeant de l'URSS, parmi les grands "dinosaures" qui dirigeaient le monde à cette époque. Il se trouve que Tchernenko est mort 6 mois avant mon arrivée au ministère et que Gorbatchev lui
avait succédé......