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Le blog de Paul Quilès

Réflexions et informations sur la paix et le désarmement nucléaire, sur la démocratie et sur l'actualité politique.

Afghanistan : la France doit retirer son contingent

Publié le 27 Juillet 2010 par Paul Quilès in International et défense

Cet article a été publié dans le quotidien

Le Monde daté du 28 juillet 2010

 

            Le conflit afghan concerne un théâtre lointain, pratiquement inconnu de la grande majorité des Français. Notre contingent militaire, de l’ordre de 4 000 hommes, est engagé dans une zone relativement calme. Même quand il essuie des pertes, les marques de solidarité, y compris de la part de l’exécutif, ne sont pas toujours à la mesure des épreuves endurées, peut-être parce qu’il s’agit de soldats professionnels. Le coût de l’opération est présenté comme tolérable ; les chiffres officiels font état d’un surcoût de 330 millions d’euros en 2009. Pas étonnant dans ces conditions que ce conflit ne soit pas véritablement un sujet de débat politique en France.

            L’opinion pressent aussi que, contrairement aux affirmations officielles, cette guerre n’est plus, depuis longtemps, une guerre contre le terrorisme international. Et, de fait, les partisans du djihad international et d’Al Qaida, peu nombreux et isolés en Afghanistan, sont très largement repliés au Pakistan, où les Américains cherchent à les atteindre, notamment par des frappes de drones. Ce n’est pas cette poignée de fanatiques que combattent les 150 000 militaires étrangers aujourd’hui présents en Afghanistan, mais trois mouvements[1], dont les objectifs sont d’abord nationaux et qui bénéficient d’un soutien significatif, surtout parmi la moitié pachtoune de la population afghane. Certains de leurs représentants ont même d’ores et déjà noué des contacts, approuvés lors de la dernière conférence de Kaboul, avec le gouvernement du Président Karzai. Ils bénéficient en outre de complicités au sein de l’armée pakistanaise.

 

Quel est l’apport de l’engagement français ?

            Il est présenté comme un gage de notre fidélité atlantique, une contribution à la reconstruction d’un des pays les plus pauvres du monde et une participation à un effort de stabilisation, pour l’empêcher de retomber dans le chaos qu’il a connu après la chute du gouvernement Najibullah en 1992. Examinons ces arguments :

      - Fidélité atlantique ? Notre loyauté dans l’Alliance ne se mesure pas à notre suivisme à l’égard d’une politique d’intervention politico-militaire exclusivement décidée à Washington. Jusqu’en 2003, nous avons, avec raison, considéré que la reconstruction de l’Afghanistan était d’abord une tâche civile. Puis nous nous sommes laissé entraîner dans une opération militaire otanienne sur la totalité du territoire afghan. Ensuite, comme le souhaitaient les États-Unis, nous avons progressivement accru notre engagement, en souscrivant à chaque fois aux changements de stratégie décidés par les présidents Bush et Obama.

       - Contribution à la reconstruction de l’Afghanistan ? Le bilan de l’action menée à ce jour est très discutable : un régime à la légitimité incertaine après une élection présidentielle entachée de fraudes massives, une administration impuissante face au pouvoir des chefs de guerre et de l’insurrection, profondément corrompue et mêlée à une production massive de drogue, dont le développement à coïncidé avec l’intervention de l’OTAN[2]

       - Effort de stabilisation internationale ? La politique conduite en ce domaine souffre d’être trop largement occidentale, alors que c’est l’ONU et sa Mission d’assistance en Afghanistan (MANUA) qui devraient exercer la responsabilité principale de la gestion politique du conflit afghan.

 

Une initiative internationale s’impose

            Membre permanent du Conseil de sécurité, la France devrait proposer, comme l’a suggéré par exemple Henry Kissinger, de réunir les pays voisins de l’Afghanistan, les pays détenant un siège permanent au sein du Conseil de sécurité et les membres de l’Union européenne et de l’Alliance atlantique (de manière à associer la Turquie). Cette conférence aurait pour tâche d’établir un statut international de l’Afghanistan, qui en ferait un État neutre, dont les autorités, issues d’un processus négocié de réconciliation nationale, s’engageraient à n’apporter aucun soutien, sous aucune forme, au terrorisme international.

            Seul ce règlement, prévoyant un retrait total des troupes étrangères, à l’exception d’un volume limité et contrôlé d’assistance militaire technique, serait de nature à rassurer à la fois le Pakistan, l’Inde, l’Iran, la Chine et la Russie, qui ont chacun un intérêt direct dans l’évolution de la situation afghane. Il devrait en particulier comporter un engagement du Pakistan de cesser de soutenir les mouvements islamistes pachtounes, en échange d’une reconnaissance par l’Afghanistan de la frontière pakistano-afghane actuelle.

 

Comment susciter une telle démarche ?

            La France doit retrouver une liberté d’action et une crédibilité qu’elle a largement perdues, en raison de son engagement au sein des dispositifs militaires intégrés de l’OTAN. Il lui faut pour cela retirer son contingent d’Afghanistan. Ce retrait doit s’accompagner d’offres de participation aux efforts internationaux d’aide au développement et, en liaison notamment avec l’Allemagne, d’assistance à la restructuration des forces de sécurité intérieure, aujourd’hui très largement corrompues et inefficaces. L’intensification de l’effort militaire que vient de décider le Président Obama doit être relayée par une intensification de l’effort civil.

            Le développement l’Afghanistan est actuellement entravé par l’insécurité, que la présence de l’OTAN contribue d’une certaine façon à alimenter. Le Président Obama l’a bien compris en proposant de confier la responsabilité de la sécurité du pays aux forces afghanes à l’échéance de 2014. Cet objectif vient d’être endossé par la conférence de Kaboul. Il ne pourra cependant être atteint que dans le cadre d’un règlement international du type de celui esquissé plus haut, en associant toutes les parties intéressées, intérieures et étrangères, à la construction de forces militaires afghanes viables. L’Armée nationale afghane actuelle est en effet en grande partie incapable d’agir de façon autonome, notamment parce qu’elle est affaiblie par des désertions constantes et que ses soldats vont parfois jusqu’à retourner leurs armes contre les militaires étrangers qui les encadrent.

            Le retrait français doit être immédiatement annoncé et sa mise en œuvre coordonnée avec le désengagement programmé des forces américaines et internationales. Il pourrait par exemple avoir lieu en même temps que les premiers retraits des troupes américaines, prévus pour juillet 2011.

            Ainsi la France pourrait-elle renouer avec l’inspiration du « plan d’action pour l’Afghanistan » présenté en octobre 2001 par Hubert Védrine. Son action s’inscrirait dans une tradition de politique étrangère notamment illustrée par le discours de Phnom Penh de 1966. Dans ce discours déjà, le Général de Gaulle recommandait de renoncer à une « expédition lointaine » dès lors qu’elle apparaissait « sans bénéfice et sans justification » et de lui préférer « un arrangement international organisant la paix et le développement ».

                                                                                Paul Quilès


[1] Ces trois mouvements sont ceux du Mollah Omar, de Gulbuddin Hekmatyar et de Sirajuddin Haqqani.

[2]  L’Afghanistan est aujourd’hui à l’origine de 95% de l’opium produit dans le monde.

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Y
<br /> Primaires socialistes et situation en Afghanistan.<br /> <br /> A propos du débat sur les primaires PS :<br /> <br /> il est à parier que ces personnes qui visent la fonction suprême, ne diront pas un mot sur la situation en Afghanistan et son coût financier en temps de crise, et plus grave son coût en vies<br /> humaines . Eluder le sujet depuis le début des primaires laisse songeur quant à leur capacité d'endosser les responsabilités dévolues à une telle fonction .<br /> <br /> Etonnant aussi le silence des journalistes sur le sujet . Jamais une question posée sur le conflit en afghanistan.<br /> <br /> <br /> <br /> Auteur sur Rue89 , d'Afghanistan , théâtre d'une aberration .<br /> <br /> <br />
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P
<br /> <br /> Ce sont des questions que j'évoque publiquement depuis plusieurs années (voir sur ce blog). Le PS l'a reprise en grande partie et les candidats devront s'y conformer. Martine Aubry, à qui j'en ai<br /> parlé personnellement, a eu l'occasion de s'exprimer clairement sur ce sujet.<br /> <br /> <br /> <br />
B
<br /> Laissons l'Afghanistan aux Afghans et retirons au plus vite nos troupes ; assez de soldats morts pour une cause qui n'est pas la nôtre ; manifestons notre désaccord, cette guerre coûte chère alors<br /> que cet argent pourrait être utilisé à d'autres fins ; rassemblons nous et crions "non" à cette guerre.<br /> <br /> <br />
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M
<br /> Monsieur le Ministre,<br /> je viens de lire avec attention le billet que vous venez de faire paraitre dans le Monde de ce jour.<br /> d'une manière génèrale, vous y faites preuve des bons sentiments dont se prévalent aujourd'hui les discours socialistes et qui me font regretter mes votes antérieures.Je passerais sur le combat<br /> imbécile mené contre le retour de la France dand le cadre de l'OTAN.Comme les socialistes doivent regretter aujourd'hui de ne pas avoir soutenu de toutes leurs forces l'idéal voulu par l'un de<br /> leurs proches,Pierre Mendés-France,la CED.En effet les objectifs strictements militaires qui devraient etre ceux des contingents non américains ne pèsent pas lourd face à l'impérialisme<br /> américain.Ce n'est pas à nous de décider de quelque que ce soit l'avenir de ce pays.Luttons contre le potentiel "international" du terrorisme et laissons les afhans et les autres puissances<br /> régionales se mettent d'accord sur la forme politique du futur afghan.<br /> <br /> <br />
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P
<br /> <br /> Mis à part le ton polémique de votre commentaire, je ne suis pas sûr que nous soyons complètement en désaccord. Il vous suffira de relire avec attention ma tribune, ainsi que le précédents<br /> textes que j'ai écrits sur ces sujets, dont certains se trouvent sur ce blog. Quant à la CED, je ne vois pas ce qu'elle vient faire ici. Partisan depuis longtemps de la "défense européenne", je<br /> pense que, si celle-ci existait vraiment, ce serait tout à fait inutile et contre productif de l'utiliser pour remplacer l'OTAN!<br /> <br /> <br /> <br />