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Le blog de Paul Quilès

Réflexions et informations sur la paix et le désarmement nucléaire, sur la démocratie et sur l'actualité politique.

Livre blanc de la défense: 3 critiques sur la méthode et sur le fond

Publié le 16 Juin 2008 par Paul Quilès in International et défense

Demain, N.Sarkozy va présenter à grand renfort de publicité le "Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale".

Au nom du PS, je participerai aujourd'hui à une conférence de presse, qui rendra public le rapport préparé sur ce sujet par la Commission défense du PS, que je préside.

On trouvera ci-après un résumé de mon analyse, publiée dans le quotidien "les Echos" de ce jour.
                                                   Paul Quilès
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Un nouveau livre blanc de la défense était nécessaire. Il était nécessaire, parce que le contexte stratégique a changé depuis 1994, date du précédent livre blanc. Il était nécessaire, parce que nous devions prendre le virage vers une véritable Europe de la défense.

          De nombreux commentaires peuvent être faits sur ce document. Je voudrais pour ma part exprimer ici 3 critiques. 

1-    Sur la méthode d’abord :    

          L’écriture de ce Livre blanc a été présentée comme un exercice de démocratie associant les militaires, des experts de la société civile et quelques parlementaires….dont le nombre a malgré tout été chichement compté. On pouvait espérer qu’il y aurait un vrai débat au sein de cette commission, mais très rapidement, il est apparu que ce ne pouvait pas être le cas. En effet, les annonces du Président de la République se sont succédées, alors même que le livre blanc n’avait pas fini ses travaux : création du conseil de défense et de sécurité nationale, annonce de la construction d’une base navale à Abu Dhabi, révision des accords de défense africains, retour dans le commandement militaire intégré de l’OTAN….

          Dans le même temps, l’exercice de révision générale des politiques publiques (RGPP) était mis en œuvre, avec comme finalité de conduire à une réduction drastique des fonctions « soutien et logistique » des armées. Dans le langage militaire, cela veut dire moins de troupes projetables ! Voilà comment, en partant d’un exercice purement comptable, on en est arrivé à définir les missions et les moyens des armées. Tout s’est passé comme si le point d’arrivée avait été déterminé avant même que les travaux du Livre blanc ne commencent, l’exercice de rédaction du document consistant essentiellement à habiller ce résultat final. L’annonce par le Président de la République du retour prochain de la France dans le commandement intégré de l’OTAN a été en quelque sorte la cerise sur le gâteau ! Constatant que, plus les travaux avançaient, plus il était évident que la rédaction du Livre blanc était téléguidée de l’Elysée, les parlementaires socialistes ont fini par quitter la commission.

2-   
Sur les conséquences :

          Malgré la qualité indéniable de certains de ses membres, la commission du Livre blanc a donc donné lieu à un simulacre de démocratie. Mais l’application du Livre blanc lui-même se traduira aussi par « moins de démocratie » : création du conseil de défense et de sécurité nationale, création d’un coordinateur du renseignement auprès du Président de la République, création d’un conseil des affaires étrangères auprès du Président de la République. La présidentialisation du pouvoir deviendra totale dans les domaines de la défense et de la sécurité. La plupart des décisions et des choix seront concentrées dans les mains d’un homme, sans que le Parlement puisse les contrôler, comme cela est le cas dans toutes les grandes démocraties. 

   3-    Sur le virage atlantiste :

          Ce Livre blanc représente un virage raté vers l’Europe. Au-delà des querelles institutionnelles, il est devenu évident que l’Europe de la défense est une nécessité pour affirmer, dans un monde incertain, l’Union européenne comme un pôle de paix et de stabilité. Il était donc nécessaire d’engager la discussion de ce document dans un cadre européen. Au lieu d’actes, on s’est contenté de mots, en affirmant qu’il sera nécessaire de rédiger un livre blanc européen….ce que nous demandons depuis déjà de nombreuses années.

          En réalité, ce livre blanc n’est pas à tonalité européenne, comme on veut nous le faire croire, il est à tonalité « otanienne », c’est à dire américaine. Ce n’est pas faire de l’anti-américanisme que d’affirmer que nous ne pourrons infléchir les positions des Américains sur les grands dossiers internationaux que grâce à une Europe forte. L’idée d’un pilier européen de l’OTAN n’est pas une idée nouvelle ; elle date d’avant la guerre froide et elle n’a jamais réussi à donner le moindre résultat.

          Seule une Europe de la défense autonome -ce qui n’exclut pas l’action des Européens, y compris des Français dans l’Alliance atlantique- nous permettra à la fois d’être mieux entendus des Américains et de conduire une vraie diplomatie européenne sur la scène internationale. Cette ambition, qui était celle de la France depuis 40 ans, va être abandonnée au bénéfice de quelques postes pour des militaires français au quartier général de l’OTAN (SHAPE) et au prix d’une présence accrue dans le bourbier afghan.

          L’alignement atlantiste de la France, salué chaleureusement par le Président Bush il y a quelques jours, aura également comme conséquence que nos partenaires européens, à commencer par les Britanniques et les Allemands, ne verront plus l’intérêt de faire avancer l’Europe de la défense, puisque le pays qui lui a donné les plus fortes impulsions semble lui-même renoncer. Dans ces conditions, la présidence française de l’Union européenne, qui démarre dans 15 jours,  risque fort d’être un échec….que l’on tentera probablement d’imputer à la réponse négative des Irlandais au référendum sur le traité de Lisbonne.  

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A
Merci Paul pour cet article nous éclairant sur la méthode, indigne d'une démocratie, avec laquelle ce nouveau livre blanc de la défense a été rédigé et réaffirmant clairement que c'est une Europe forte, une Europe de la défense autonome qui nous permettra d'être entendus et efficaces sur la scène internationale. Excellente conclusion!
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