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Le blog de Paul Quilès

Réflexions et informations sur la paix et le désarmement nucléaire, sur la démocratie et sur l'actualité politique.

Défense : les dangereuses dérives de Sarkozy

Publié le 5 Mars 2008 par Paul Quilès in International et défense

livre-blanc.jpgCette tribune, que j'ai signée avec 2 autres responsables des questions de défense du PS (F.Lamy et L.Gautier), a été publiée par le Figaro du 5 mars 2008, sous le titre "le Livre Blanc de la défense fait-il fausse route?"

 

La Commission du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale mise en place par Nicolas Sarkozy va bientôt remettre ses conclusions.

 

D’après ce que l’on peut lire dans la presse, l’analyse qui fonde ses propositions consiste à globaliser les menaces, sans pour autant qu’un lien soit fait avec les événements politiques qui sont à l’origine du contexte international actuel. Privée de toute référence historique et culturelle, privée de toute compréhension des rapports de force, la réflexion se focalise sur les conséquences de la menace, par exemple sur l’horreur provoqué par les attentats, sans essayer d’en comprendre les causes.

 

Dans ces conditions, la tentation est forte d’adopter une attitude craintive consistant à maximiser les dangers pour, pense-t-on, mieux s’en protéger. Et, de fait, toutes les menaces sont placées au même niveau : le terrorisme, les cyber-attaques, les catastrophes naturelles et technologiques, la menace balistique, les risques de conflits…

 

Nous savons que des menaces de forme nouvelle existent. Simplement, le Livre blanc ferait fausse route s’il suivait la réflexion de Nicolas Sarkozy, en décrivant un monde apocalyptique où l’Occident -notion en elle-même dangereuse si elle ne sert qu’à s’opposer au reste du monde- serait assiégé par des forces hostiles.

 

Le problème est que, lorsque l’analyse est fausse, les remèdes ont de grandes chances d’être  inappropriés. Le Livre blanc n’aurait pas dû porter sur « la défense et la sécurité nationale », concept qui peut se révéler ambigu, mais sur « la défense et la politique étrangère ». Pour le moment, l’accent est mis sur une militarisation de la réponse aux menaces, à l’image des Etats-Unis depuis le 11 septembre 2001. La France doit avant tout avoir une diplomatie préventive ; c’est d’ailleurs dans ce sens que se développent les efforts de tous nos partenaires européens, notamment l’Allemagne. Pour nous, la prévention consiste à anticiper les conflits avant qu’ils ne se développent en utilisant les ressorts de la diplomatie. La prévention ne peut se limiter à des frappes préventives voire préemptives, qui ne font bien souvent qu’envenimer la situation, quand elles ne sont pas purement et simplement contraires à la légalité internationale. Quant à l’objectif de protection, il est inquiétant d’apprendre qu’on voudrait l’appuyer sur le principe de la « résilience »[1], c’est-à-dire en préparant la population à encaisser le traumatisme psychologique d’une agression ou une catastrophe majeure, afin d’en minimiser ou d’en limiter l’impactle problème étant les dérives potentielles de cette politique en termes de militarisation de la société. Il faut pourtant dire la vérité aux Français : le traitement qu’ont fait les Etats-Unis de la menace terroriste depuis 2001 par la seule option militaire s’est traduit par plus de terrorisme et plus de menaces. Pourquoi s’ingénier à copier des recettes qui ont échoué ?

 

Le rôle de la France et de l’Union européenne est de mieux protéger militairement notre continent contre les menaces. Mais nous le ferons d’autant mieux que nous prendrons toute notre place sur la scène internationale pour agir sur la cause et l’origine de ces menaces. Les remèdes sont connus. Ils s’appellent : la régulation de la mondialisation, l’aide au développement, le règlement des conflits. Considérer que la menace terroriste est inéluctable, et sans remède, que la question ne se pose qu’en termes militaires et jamais politiques, c’est oublier que la France et l’Union européenne doivent contribuer à la résolution du conflit israélo-palestinien, doivent convaincre l’Iran de renoncer à l’option du nucléaire militaire, et doivent empêcher le conflit des civilisations. Oublier cela, c’est se condamner à une stratégie d’échec programmé face à la menace terroriste.


Pour aider à résoudre les conflits, il faut également être respecté sur la scène internationale. Or, monarque dans son royaume, le nouveau Président de la République apparaît déjà et de plus en plus décrédibilisé à ce niveau. Avec Nicolas Sarkozy, nous sommes pro-américains lorsqu’il rencontre Georges Bush, pro-russes lorsqu’il rencontre Poutine, pro-libyens lorsqu’il rencontre Mohammar Khadafi. Par ailleurs, tout le monde sait dans le microcosme bruxellois que la Présidence française de l’Union européenne, qui interviendra au second semestre 2008, se présente mal, en partie du fait des rodomontades et des contradictions de Nicolas Sarkozy.

 

Nous attendons donc les propositions du Président sur le futur de l’Europe de la défense et de l’Europe politique. Veut-il vraiment une politique commune et une défense commune ? Veut-il à terme une armée européenne ? Veut-il une Europe qui agisse sur la scène internationale et qui nous protège les Français ? Le Président souhaite se rapprocher de l’Otan, mais pourquoi veut-il à tout prix réintégrer les structures de l’Alliance ? Nous n’en savons rien.

 

Pour nous, ce qui est important, c’est de développer l’Union européenne en créant une véritable « Union européenne de défense » avec les pays acceptant d’aller plus loin dans ce domaine. Dans cette Union, les pays seraient solidaires en cas d’attaque contre leurs intérêts. Ils agiraient ensemble pour résoudre les conflits, y compris au moyen d’interventions communes. Ils regrouperaient leur industrie d’armement et achèteraient les mêmes matériels militaires. Cette autonomie des Européens est compatible avec le maintien de l’Alliance atlantique, mais il sera indispensable de revoir les équilibres entre l’Europe et les Etats-Unis, pour prendre mieux en compte la vision du monde des Européens.

 


[1] Voir l’article d’Arnaud de la Grange, dans le Figaro Magazine (2 février 2008)

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