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Le blog de Paul Quilès

Réflexions et informations sur la paix et le désarmement nucléaire, sur la démocratie et sur l'actualité politique.

La construction de la paix

Publié le 27 Septembre 2018 par Paul Quilès in International et défense

La construction de la paix

Interview que j'ai donnée

 

à L'Humanité Dimanche 

 

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     Alors que s'ouvre l'Assemblée générale de l'Onu, de nombreux conflits comme le Yémen ou la Syrie, l'Ukraine n'ont toujours pas trouvé d'issue politique. Est-ce que cela révèle une crise de la diplomatie mondiale et de l'un de ses piliers, les Nations Unies?

 

     Il y a certainement une crise de la diplomatie en ce sens que, en violation de la Charte des Nations Unies1, la tentation du recours à la force l’emporte à présent souvent sur la volonté de dialogue. Les conflits sont en outre généralement internes aux États, mais ils donnent lieu à des ingérences étrangères sous des formes diverses. Chacun d’eux présente cependant des caractéristiques spécifiques, irréductibles à un traitement global.

      En Ukraine, l’opposition entre Européens, Américains d’un côté, Russes de l’autre semble irréductible, malgré les accords de Minsk 2 (février 2015). Il en résulte une détérioration de la sécurité paneuropéenne, un affaiblissement considérable de l’OSCE et l’apparition de tensions militaires sur le continent, à l’ombre des menaces nucléaires réciproques.

     En Syrie, les Européens et les Américains semblent se résigner à une victoire gouvernementale, alors que la Turquie est appelée à jouer un rôle-clef dans l’évolution indispensable du pouvoir syrien vers un mode de gouvernement plus inclusif.

     Au Yémen, les grandes puissances semblent donner carte blanche à l’Arabie saoudite et à son allié émirati pour affaiblir la rébellion houthie, malgré les crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis. Aucune solution militaire n’est possible, mais les belligérants se refusent à entrer dans une réelle négociation politique.

     Dans ces trois cas comme dans celui de nombreuses autres crises, le Conseil de sécurité est impuissant à exercer la « responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales » que lui attribue la Charte des Nations Unies2, essentiellement en raison de désaccords de fond entre ses cinq membres permanents3, chacun doté d’un droit de veto. Cette situation montre à quel point une réforme de l’ONU est indispensable, en particulier pour rendre le Conseil de sécurité plus représentatif ou pour accroître les pouvoirs de l’Assemblée générale qui rassemble tous les États membres. Il est à noter cependant que, même dans sa configuration actuelle, le Conseil de sécurité montre parfois une certaine efficacité dans le traitement des crises régionales notamment africaines.

 

    L'Onu et le multilatéralisme semblent s'effacer au profit du bilatéralisme dont le président des États-Unis, Donald Trump, est le plus fervent partisan. Désormais l'intervention militaire unilatérale (Syrie, Yémen...) n'est plus un "tabou". Comment expliquer cette mise à l'écart de l'Onu et du dialogue?

 

     L’intervention militaire unilatérale est contraire à la Charte, sauf en cas de légitime défense. Si elle est à présent trop souvent pratiquée sans conséquences pour ses auteurs (Turquie en Irak et en Syrie ; Israël en Syrie), c’est en raison des divisions qui affaiblissent le Conseil de sécurité et de la tolérance des grandes puissances. Cette évolution est dangereuse, dans la mesure où elle favorise l’escalade des conflits armés, notamment lorsque des puissances nucléaires sont impliquées. Le risque existe alors, par exemple aux frontières de la Russie, que ces puissances aient recours à des formes de « gesticulation nucléaire » en annonçant le déploiement dans leurs unités d’armes nucléaires dites « tactiques » ou du champ de bataille. Il est donc urgent de retirer ces armes, qu’elles soient américaines ou russes, du continent européen. J’aimerais que la France s’exprime fermement à ce sujet.

 

     Construire la paix apparaît de plus en plus difficile....

 

     Il est vrai que le dialogue, et plus largement les modes pacifiques de règlement des conflits, ne sont pas assez pris en considération lorsqu’il s’agit de régler une crise. C’est trop souvent l’arme des sanctions qui est utilisée, presque de manière réflexe. Les sanctions peuvent être utiles lorsqu’il s’agit de combattre une atteinte au droit international, mais il est contre-productif et dangereux de les lancer sans avoir défini au préalable avec précision l’objectif recherché. Elles ne peuvent en aucun cas se substituer au dialogue ou rendre le dialogue impossible (par exemple lorsqu’elles visent à réduire le potentiel de croissance de l’adversaire).

     Pour ce qui est des tentatives d’hégémonie régionale, l’expérience montre qu’il s’agit d’un objectif difficile à atteindre, sauf, sans doute, dans certaines circonstances, pour une hyperpuissance comme les États-Unis. Toute entreprise en ce sens d’une puissance moyenne se heurte inévitablement à la résistance d’autres puissances du même rang. Si des organisations internationales suffisamment fortes existent pour concilier les intérêts en présence, ce phénomène naturel de concurrence entre États n’est pas nécessairement générateur de conflits.

 

     Quelles pourraient-être selon vous, les pistes pour construire la paix et éviter que le multilatéralisme ne disparaisse ?

 

      Comme je l’ai dit, la construction de la paix passe par le renforcement des institutions internationales, pas seulement dans le domaine de la sécurité, mais aussi dans le domaine économique, de façon à prévenir notamment des guerres commerciales, dont on voit aujourd’hui qu’elles peuvent être dangereuses pour les équilibres politiques et pour la paix.

      La paix se construit aussi sur le terrain du développement durable : dans ce domaine l’action individuelle des États est insuffisante, elle doit être coordonnée et démultipliée par les organisations internationales autour de l’ONU.

     Le désarmement, tout particulièrement nucléaire, est enfin essentiel pour écarter le risque catastrophique d’un emploi de l’arme nucléaire, notamment tactique, dans les zones de tension (régions frontalières de la Russie, « ligne de contrôle » entre l’Inde et le Pakistan). Un désarmement progressif, contrôlé et multilatéral permettrait de restaurer le climat de confiance indispensable aux progrès de la paix. Il devrait notamment conduire les puissances nucléaires à adhérer au traité d’interdiction des armes nucléaires, ouvert à la signature depuis septembre 2017. Il devient urgent que les cinq « pays dotés » de l’arme nucléaire (États-Unis, Russie, France, Royaume-Uni, Chine), qui sont signataires du TNP (Traité de Non-Prolifération), sortent de l’hypocrisie insupportable qui consiste à proclamer qu’ils luttent contre la prolifération, alors qu’ils ne respectent pas ce traité4 et qu’ils alimentent une nouvelle course aux armements.

 

[1] Article 33 de la Charte des Nations Unies : obligation du règlement pacifique des différends

[2] Article 24

[3] États-Unis, Russie, France, Royaume-Uni, Chine

[4] Article 6 du TNP : « Chacune des Parties au Traité s’engage à poursuivre de bonne foi des négociations sur des mesures efficaces relatives à la cessation de la course aux armements nucléaires à une date rapprochée et au désarmement nucléaire, et sur un traité de désarmement général et complet sous un contrôle international strict et efficace. »

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