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Le blog de Paul Quilès

Réflexions et informations sur la paix et le désarmement nucléaire, sur la démocratie et sur l'actualité politique.

Rwanda : chercher la vérité sans manipuler

Publié le 30 Mars 2018 par Paul Quilès in International et défense

Rwanda : chercher la vérité sans manipuler

     Plusieurs articles sur le génocide rwandais ont été publiés dans la presse à l’occasion de la publication du livre d’un ancien officier français. Ils ont parfois donné lieu à des inexactitudes, dont certaines n’étaient à l’évidence pas involontaires (voir ma mise au point à la fin de ce texte*)

     S’agissant de commentaires partisans sur le travail de la mission parlementaire que j’ai présidée en 1998, j’ai tenu à écrire le texte qui suit, dont est extraite une tribune publiée ce jour par Le Monde sous le titre « Revenir aux faits pour mieux comprendre le génocide au Rwanda »

***************

      Le génocide perpétré au Rwanda entre avril et juillet 1994 fait partie des grandes tragédies du 20ème siècle. À nouveau, un nombre considérable de personnes (de 500 000 à un million) ont été assassinés dans les conditions les plus barbares en raison de leur naissance.

 Depuis ce drame, on a assisté à un flot de récits, de témoignages -dans lesquels il est parfois difficile de discerner la vérité des faits-, d’analyses parfois contradictoires, de polémiques, souvent violentes en France et dans le monde.

      Force est de constater cependant que peu de participants à ce débat ont réussi à rendre compte de manière pleinement objective des enchaînements qui ont conduit au génocide et des responsabilités en cause, ce qui est regrettable, mais certainement explicable en raison de l’émotion suscitée par l’énormité de la tragédie. Les polémiques continuent jusqu’à aujourd’hui, comme l’illustrent les articles et commentaires publiés ces derniers jours dans « Le Monde ».

      Considérant le mouvement d’opinion qui souhaitait des investigations sur l’attitude de la France avant et durant le génocide, j’ai pris l’initiative en 1998, en tant que Président de la Commission de la défense de l’Assemblée Nationale, de proposer que soit constituée une mission parlementaire d’information. L’objectif était de “faire la lumière sur le rôle qu’ont pu jouer les différents pays qui sont intervenus, ainsi que l’ONU, dans la crise rwandaise entre 1990 et 1994”. 

      Il faut avoir un esprit très partisan pour affirmer (éditorial du Monde du 18-19 mars 2018) que le rapport de la mission parlementaire « est pour le moins incomplet et ses conclusions lénifiantes ». Qu’on en juge, à partir de ces quelques données :

     - Notre mission a enquêté pendant neuf mois et a rendu un rapport de 1500 pages, qu’on peut consulter ici .

    - Pendant 110 heures, les députés qui faisaient partie de la mission ont auditionné 88 personnes, des responsables politiques, des militaires, des diplomates, des universitaires, des civils français et rwandais. Ces auditions ont été exceptionnelles, tant par leur nombre que par leur caractère détaillé et approfondi. La plupart d’entre elles ont été publiques, ouvertes à la presse écrite et audiovisuelle. Certaines ont même été télévisées en direct par LCI. 

     - Les rapporteurs se sont rendus à Bruxelles, à Washington, au siège des Nations Unies à New York, ainsi qu’au Rwanda, en Ouganda, au Burundi, et en Tanzanie. 

  - Les témoignages des 74 personnes qu’ils ont rencontrées par ailleurs ont été intégralement et rigoureusement pris en considération dans le cadre de la méthode de travail définie par la mission parlementaire. 

   - La mission a analysé 15 000 pages de textes, de télégrammes diplomatiques et de documents militaires ; pour 7000 pages, la classification “secret défense” a été levée et certaines d’entre elles ont été publiées en annexe du rapport.

    D’autres pièces d’archives existent sans doute encore et il serait souhaitable que les chercheurs puissent y avoir accès. Mais les documents consultés par la Mission donnent déjà en eux-mêmes une image suffisamment large et représentative des conditions de l’engagement français.

     D’éventuelles pièces supplémentaires ne pourront à mon sens que nuancer ou préciser les conclusions de la mission si l’on excepte certaines questions majeures, toujours sans réponse, mais qui ne concernent pas la France, comme les circonstances de la destruction de l’appareil transportant les présidents rwandais et burundais ou le rôle du Front patriotique rwandais (FPR).

     S’agissant de l’historique de l’engagement français, de sa nature et des procédures mises en œuvre pour le diriger, qui constituait l’objet principal de la mission, on ne peut honnêtement considérer le rapport comme incomplet : ce sont au contraire les commentateurs qui pèchent souvent par manque d’exhaustivité, en passant par exemple sous silence le processus de paix d’Arusha (été 1993), qui ouvrait une perspective crédible de réconciliation nationale avec le soutien de la France, ou les débats au sein de l’opposition démocratique rwandaise.

     Le rapport a aussi souligné le rôle d’acteurs souvent oubliés : la Belgique, qui a abandonné le Rwanda au moment où il fallait y rester, l’ONU, dramatiquement absente ou incapable d’intervenir, les États-Unis, qui ont, de façon constante et délibérée, bloqué les décisions du Conseil de Sécurité… Force est de constater que la communauté internationale a fauté au Rwanda, par manque de volonté, que ce soit avant ou après le déclenchement du génocide. Si la France a mené seule l’opération Turquoise (21 juin au 21 août 1994) dans un but humanitaire, malgré des illusions initiales sur la possibilité de « sauver » Arusha, c’est bien parce qu’aucun autre pays ne voulait s’y engager ! 

      Nous avons enfin avancé des propositions susceptibles d’éviter que de telles tragédies se reproduisent. Elles concernaient différents domaines correspondant aux carences analysées tout au long du travail de la mission. Nous avons proposé, par exemple, le contrôle parlementaire effectif des interventions militaires hors du territoire national et la connaissance par le Parlement des accords de défense ; la gestion des problèmes de sécurité en Afrique au niveau multilatéral (en particulier européen) et non plus bilatéral ; la réforme du mode d’intervention des forces de l’ONU pour maintenir ou rétablir la paix.

      On ne peut pas dire que la plupart de ces propositions aient été largement entendues ! Et pourtant, un examen attentif du drame rwandais devrait imposer, au-delà de la compassion, une remise en cause radicale des politiques françaises et européennes relatives à la sécurité africaine.

     Le travail de notre mission a été considéré comme une grande première. C’était en effet la première fois que le Parlement enquêtait sur le prétendu “domaine réservé” que constituent la défense et la politique étrangère. Et nous l’avons fait sans complaisance aucune. 

     Néanmoins, comme l’a fait remarquer une des meilleures analystes du drame rwandais, la chercheuse Claudine Vidal : « Durant les heures qui suivirent la sortie d’un rapport que personne n’avait encore pu lire, la plupart des radios et des télévisions adhérèrent à une logique dénonciatrice qui tenait à juger la France coupable. Minimisant les conclusions du Rapport qui pourtant se montraient loin d’exonérer la France de ses responsabilités durant la période précédant le génocide, ces médias se fixèrent sur une seule, celle qui affirmait la non-implication dans les massacres. Les diagnostics furent du type : « On s’y attendait, ce rapport “ blanchit ” la France ». Au bout de deux jours, les radios cessèrent d’en parler. Les journalistes des quotidiens et hebdomadaires politiques nationaux, qui eurent un peu plus de temps pour en prendre connaissance, retinrent généralement les aspects critiques, relevèrent des résultats de l’enquête mais exprimèrent des réserves sur les lacunes (ou les silences) de l’investigation et sur l’analyse des responsabilités. » 

     Il est vrai que le terrain médiatique était déjà occupé par un autre récit, fondé sur ce que Claudine Vidal appelle une « interprétation conspiratoire de la politique française ». Selon elle, ces auteurs et ces groupes militants s’étaient donné pour tâche « de révéler les ressorts cachés de l’action française au Rwanda. Ils dénoncèrent l’existence de complots, de faits secrets, de liaisons clandestines, d’agents et de bureaucraties cachés qui auraient dominé les institutions publiques, grâce à la complicité d’acteurs officiels. (…….) En 2004, année de la dixième commémoration du génocide, auteurs et associations relancèrent une campagne d’accusations extrêmes sur le thème de « la France coupable de génocide au Rwanda ». Les publicistes critiques rencontrèrent bien quelques adversaires, mais ces derniers ou bien défendaient à outrance la politique française menée au Rwanda, ou bien découvraient, eux aussi, des complots, mais fomentés par des puissances étrangères. Bref, dénonciateurs et défenseurs entraient dans une logique de camps retranchés. (…..) Ainsi, co-existent un récit-défense des responsables français se cantonnant dans une attitude d’infaillibilité, un récit parlementaire fondé sur des auditions et des documents officiels, des récits menés par les publicistes, perceurs d’énigmes et spécialistes en histoire secrète. Quant au récit universitaire, il est resté rare. » 

     Le génocide du Rwanda n’est pas une sorte d'« accident de l'histoire » et on ne peut se contenter de jugements sommaires sur les responsabilités des crimes commis ou satisfaire sa conscience avec des litanies de repentirs et de regrets sans grand rapport avec le réel. 

     Il est en revanche toujours nécessaire, même si cela peut sembler relever de la gageure, de procéder, avec le recul du temps, à une confrontation des analyses en vue de la plus grande objectivité possible, afin d’en revenir aux faits et de définir avec plus de précision encore les responsabilités et les enchaînements qui ont conduit à l’épouvantable tragédie rwandaise.

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* Extraits de ma lettre du 21 mars au directeur du Monde à la suite de l’article de D. Servenay (16 mars 2008) consacré aux « révélations » d’un officier français 20 ans après l’opération Turquoise menée par la France au Rwanda en juin 1994.

« Cet article comporte de nombreuses erreurs, dont certaines me concernent directement.

Ainsi, vous me faites « l’honneur » d’un gros intertitre, avec une citation inventée. Il aurait suffi à l’auteur de l’article de vérifier ces propos auprès de moi ou de participants au colloque pour éviter de donner une version tronquée des échanges.

Par ailleurs, contrairement à ce qui est affirmé, je n’ai pas présidé le colloque, qui était organisé par la Fondation Jean Jaurès. Dans mon intervention,  je me suis exprimé en tant que président de la « mission parlementaire sur le Rwanda » (1998) et non comme ancien ministre de la défense (1985-86), qui ne pouvait pas avoir été concerné dans cette fonction par les évènements de 1994. 

Dans la citation entre guillemets de mon échange avec M. Ancel, je ne retrouve ni le fond de ma pensée, ni la façon dont je m’exprime (« sorti de son contexte, jeune homme, votre récit pourrait faire gravement douter les Français », dit-il en pointant un doigt rageur). Quant au commentaire «  rouge de colère, Paul Quilès finit par quitter la salle », il ne correspond en rien à la réalité. 

Autre erreur : le colloque avait pour titre « le génocide rwandais, 20 ans après » et non, comme l’affirme l’article, « la politique africaine de François Mitterrand » ! 

Enfin, ce n’était pas un « colloque à huis clos  du PS ». Les personnalités invitées à participer et les orateurs venaient d’horizons divers. La meilleure preuve est que M. Ancel était présent et qu’il a pu s’exprimer, dans une atmosphère qui n‘avait rien d’« électrique », contrairement à ce que prétend l’article. 

Il est regrettable que cette succession d’erreurs et d’approximations - qu'une simple vérification auprès des participants de cette rencontre aurait permis d'éviter-, conduise finalement à douter de l’impartialité de l’auteur de cet article. »

*****

Ma mise au point a donné lieu à ce texte publié par Le Monde le 22 mar

Après la publication d'une série d'articles consacrés au génocide rwandais (Le Monde des 16, 17 et 19 mars), nous avons reçu de Paul Quilès, ancien ministre socialiste de la défense (1985-86), des précisions concernant sa participation à un colloque organisé en 2014 par la Fondation Jean- Jaurès.

M. Quilès indique qu'il n'avait pas présidé ce colloque intitulé " Le génocide rwandais, vingt ans après ". Il était intervenu ce jour-là en tant que président de la mission parlementaire sur le Rwanda (1998) et non comme ancien ministre.

D'après lui, il ne s'agissait pas, comme nous l'avons écrit, d'un " colloque à huis clos " réunissant des personnalités proches du Parti socialiste mais d'un rassemblement de personnalités d'horizons divers.

Toujours selon lui, l'atmosphère n'avait rien d'" électrique ". M. Quilès conteste le récit qu'en fait l'un des participants, Guillaume Ancel, un ex-officier de l'opération militaire " Turquoise " de juin 1994 au Rwanda.

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