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Le blog de Paul Quilès

Réflexions et informations sur la paix et le désarmement nucléaire, sur la démocratie et sur l'actualité politique.

Pour réduire le risque d’affrontement militaire entre la Russie et l’OTAN

Publié le 26 Août 2015 par Paul Quilès in International et défense

Pour réduire le risque d’affrontement militaire entre la Russie et l’OTAN

      Nous sommes 14 anciens responsables de pays européens (Grande Bretagne, Allemagne, France, Russie, Turquie, Finlande, Espagne, Pologne), préoccupés par le climat dangereux qui s’est installé entre les forces militaires de la Russie et de l’OTAN.

 

      Nous avons signé cette déclaration, qui vient d'être publiée dans plusieurs pays. En voici la version française.

 

- Adam Daniel Rotfeld, ancien ministre des affaires étrangères (Pologne)

- Igor S. Ivanov, ancien ministre des affaires étrangères (Russie)

- Des Browne, ancien secrétaire d’Etat à la Défense (Grande Bretagne)

- Özdem Sanberk, ancien sous-secrétaire du Ministre des affaires étrangères (Turquie)

- Ana Palacio, ancienne ministre des affaires étrangères (Espagne)

- Malcolm Rifkind, ancien secrétaire d'Etat aux affaires étrangères et à la défense (Grande Bretagne)

- Volker Ruehe, ancien ministre de la défense (Allemagne)

- Tarja Cronberg, ancienne députée du Parlement Européen (Finlande);

- Igor Yu. Yurgens, vice-président du syndicat des Industriels et Entrepreneurs (Russie)

- Tony Brenton, ancien ambassadeur de Grande Bretagne en Russie

- Alexei Gromyko, directeur adjoint de l’Institut de l’Europe de l’Académie des sciences (Russie)

- Paul Quilès, ancien ministre de la défense (France)

- Vyacheslav I. Trubnikov, ancien directeur du renseignement étranger russe, général d’armée (à la retraite), ambassadeur plénipotentiaire de la Fédération de Russie

- Hikmet Cetin, ancien ministre des affaires étrangères (Turquie).

 

****

      Nous savons tous qu’au cours des 18 derniers mois, la relation entre la Russie et l’Occident s’est considérablement détériorée. Il y a eu une diminution fondamentale de la confiance, du fait d’analyses divergentes et, à ce stade totalement incompatibles, de ce qui s’est produit en Ukraine et pourquoi cela s’est produit.

 

      Des préoccupations anciennes et des différends concernant d’autres problèmes, tels que la défense antimissile, l’élargissement de l’OTAN, les régimes destinés à renforcer la confiance sur les déploiements des forces militaires conventionnelles en Europe et des armes nucléaires non stratégiques, sont devenus plus aigus par la suite.

 

      Les relations économiques entre la Russie et le reste de l’Europe sont également en train de se désagréger, en raison du processus de sanctions en cours et de nombreux commentateurs, en Russie comme en Occident, spéculent désormais ouvertement sur le retour d’une nouvelle Guerre froide.

 

    Une des caractéristiques de ce nouvel environnement a été l’augmentation du nombre d’interceptions entre les forces militaires russes et celles de l’OTAN et entre les forces militaires russes et celles de la Suède et de la Finlande. Comme toujours, il y a une différence d’interprétation entre ce qui se passe et son exacte raison, mais il y a peu de doute sur le fait qu’il y a un accroissement des activités militaires et sur la réalité d’une plus grande proximité des forces en présence.

 

     L’organisation ELN (European Leadership Network) a enregistré 66 incidents depuis mars 2014. La plupart de ceux-ci, environ 50, ont été classés comme « proches de la routine », mais certains ont été plus graves et trois ont été considérés comme « à haut risque ».

 

      Evidemment, l’ensemble des incidents est beaucoup plus élevé. L’OTAN a rapporté avoir mené plus de 400 interceptions d’avions russes en 2014, soit quatre fois plus que le nombre d’interceptions réalisées en 2013. La Russie a déclaré publiquement qu’elle avait recensé deux fois plus de vols d’avions tactiques de l’OTAN en 2014 qu’en 2013 près de ses frontières, soit plus de 3000. La Suède et la Finlande ont signalé un certain nombre d’interceptions d’avions russes près de leur espace aérien et chaque Etat a dû sonder, au moins une fois au cours des 12 derniers mois, ses eaux territoriales, pour rechercher de mystérieux «objets sous-marins ».

 

      La Russie a augmenté le nombre et la taille de ses exercices militaires, sans réaliser de notification préalable, certains exercices se déroulant dans sa région militaire occidentale, donc très proche des territoires de l’OTAN. Au cours de la crise actuelle, des responsables russes et des experts ont confirmé une activité accrue de l’armée de l’air russe, incluant l’utilisation d’avions de surveillance et d‘avions stratégiques à longue portée. La Russie a également déployé d’autres aéronefs, des navires, des unités de défense aérienne et de missiles antinavires en Crimée.

 

      L’OTAN a réagi à la détérioration de la situation en Europe centrale et orientale, en augmentant sa présence militaire le long de son flanc oriental. L’organisation a ainsi accru ses missions de surveillance de l’espace aérien de la zone baltique. Elle a déplacé plus de troupes dans cette région, augmenté sa structure de commandement et envisage de pré-positionner du matériel. Selon les données officielles de l’OTAN, 162 exercices ont été réalisés en 2014 dans le des actions de formation militaire de l’OTAN et d’exercices programmés, soit le double du nombre d’exercices initialement prévu. A cela, il convient de rajouter 40 exercices nationaux supplémentaires ; ceux-ci faisaient partie d’un effort plus large de l’OTAN pour démontrer sa détermination et pour rassurer les alliés dans le contexte de la crise actuelle  En 2015, il est prévu une poursuite de ces tendances concernant les actions de la Russie et de l’OTAN.

 

    Sans entreprendre une évaluation collective de ce qui motive ces déploiements militaires spécifiques, les signataires sont d’accord sur deux observations importantes. Tout d’abord, la Russie et l’OTAN semblent réaliser de nouveaux déploiements et mettre d’avantage l’accent lors des exercices sur les corrections nécessaires à apporter à leur précédent dispositif militaire. Chaque côté est convaincu que ses actions sont justifiées par les changements négatifs de son environnement sécuritaire. Deuxièmement, un cycle action-réaction est maintenant en oeuvre et semble difficile à arrêter.

 

      Certains disent que cette augmentation des tensions est gérable et que les militaires des deux côtés veilleront à ce que rien de fâcheux ne se passe. Cela peut être le cas, mais nous ne devons pas perdre de vue que nous traitons ici, dans la plupart des situations, de relations et d’affrontements militaires entre une puissance nucléaire d’une part et une alliance nucléaire militaire de l’autre, qui se déroulent dans un contexte de méfiance accrue et de tensions significatives des deux côtés. L’histoire est parsemée d’exemples de crises et de tensions internationales qui ont développé une dynamique propre et ont abouti à un conflit, même si aucune des parties ne le voulait. Nous ne sommes pas nécessairement dans une dynamique similaire à celle de l’Europe de 1914, mais quel responsable politique optimiste ne voudrait pas tenir compte des leçons de l’histoire collective de notre continent et faire tout ce qui est possible pour s’assurer que les choses ne glissent pas hors de tout contrôle ?

 

      À notre avis, la situation est mûre pour une possible dangereuse erreur de calcul ou  un accident qui pourrait déclencher une nouvelle aggravation de la crise ou même une confrontation militaire directe entre la Russie et l’Occident.

 

      En juillet 2014, plusieurs d’entre nous ont déjà fait remarquer le danger de la situation et ont notamment appelé à ce que chaque partie améliore le niveau de communication entre militaires, fasse preuve de retenue politique et militaire au sein des chaînes de commandement, améliore les règles d’engagement militaire et, si possible, exerce une influence sur les actions de ses amis et alliés.

 

      L’OTAN a depuis confirmé explicitement que les liens de communication entre le Commandant suprême des forces alliées en Europe (SACEUR), le chef du Comité militaire de l’OTAN et le chef de l’état-major général russe sont actifs et disponibles 24h sur 24 et 7 jours sur 7. De manière à éviter des incidents dangereux, des discussions ont été menées en profondeur au sein de l’OTAN et ont été également réalisées au cours des dernières rencontres entre le Secrétaire général de l’OTAN, le représentant permanent de la Russie auprès de l’OTAN et le ministre russe des Affaires étrangères. Nous nous félicitons de ces développements, mais nous croyons nécessaire de faire plus encore.

 

      Notre proposition

 

     Le Conseil OTAN - Russie devrait être convoqué d’urgence pour discuter d’un éventuel mémorandum d’entente entre l’OTAN et la Fédération de Russie, ainsi que des règles de conduite à tenir entre les deux parties lors des interceptions, pour la sécurité du trafic aérien et maritime. Un tel accord a été signé entre les Etats-Unis et la Chine à la fin de l’année 2014 "pour renforcer le respect du droit et des normes internationales en vigueur actuellement, pour améliorer la sécurité  opérationnelle dans l’espace maritime et aérien, pour renforcer la confiance mutuelle, pour élaborer un nouveau modèle de relations entre les militaires de chacune des parties"

 

      Parallèlement à un accord multilatéral OTAN – Russie, des négociations bilatérales pourraient être engagées sur des accords similaires entre la Russie et les États membres de l’OTAN.

 

      L’accord sino-américain énonce les principes et les procédures de communication qui doivent être observés lors des interceptions entre les navires et avions militaires, et exige de chaque côté de donner des avertissements de danger en temps  opportun, si des exercices militaires et des tirs d’armes réels doivent avoir lieu dans un environnement où peuvent être opérationnels les navires militaires et aéronefs de l’autre partie.

 

     Il énonce également une série de règles pour établir la confiance mutuelle. Celles-ci comprennent par exemple l’engagement à communiquer en temps opportun lors de la conduite des opérations sur les intentions de manœuvre des navires et des avions militaires. Elles comprennent également une liste d’actions qui doivent être évitées, y compris la simulation d’attaques en orientant ses canons, ses missiles, ses radars de contrôle de tir, ses tubes lance-torpilles et autres armes en direction des navires et avions militaires rencontrés. L’accord précise les fréquences radios à utiliser pour la communication et les signaux à réaliser, si des difficultés sont rencontrées sur la compréhension de la langue par les commandants.

 

     L’accord contient également une disposition pour que chaque partie procède à une réunion d’évaluation annuelle, dirigée par des officiers supérieurs de l’armée, sur tous les événements de l’année précédente concernant l’application de cet accord.

 

      Il existe au moins deux accords entre les Etats-Unis et l’Union soviétique (puis la Russie) qui opèrent d’une manière similaire dans les relations bilatérales entre ces deux Etats : l’Accord pour la prévention des incidents en haute mer et au-dessus de la haute mer (1972) et l’Accord sur la prévention des activités militaires dangereuses de 1989.

 

      Étant donné l’ampleur accrue des activités militaires dans la région Euro-atlantique et l’augmentation du nombre d’interceptions militaires, un tel accord est maintenant nécessaire entre l’OTAN et la Russie, afin de prévenir les incidents ou les erreurs de calcul pouvant conduire à une escalade de la tension, voire à une confrontation. Il serait également utile d’impliquer à un stade précoce des discussions la Suède et la Finlande, qui sont tous les deux exposés aux dangers liés à l’accroissement des activités militaires dans la région de la mer Baltique.

 

      Les signataires de cette déclaration sont convaincus qu’un tel objectif doit être poursuivi avec la plus grande urgence. Bien que cela puisse apparaître comme une mesure bureaucratique ou technique, l’avenir de la sécurité Euro-atlantique pourrait pourtant bien en dépendre.

                                                                                     

                                                                                                  26 Août 2015

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