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Le blog de Paul Quilès

Réflexions et informations sur la paix et le désarmement nucléaire, sur la démocratie et sur l'actualité politique.

Moyen-Orient : comment sortir du chaos ?

Publié le 23 Septembre 2014 par Paul Quilès in International et défense

      Barack Obama s’est engagé à rassembler une « large coalition » pour « éradiquer » le mouvement terroriste dénommé Etat Islamique (EI). François Hollande, pour sa part, a annoncé qu’il « engageait la France » dans cette coalition.

 

      Avant d’examiner les origines du véritable chaos que traverse le Moyen-Orient, ainsi que les réponses qui pourraient être apportées aux drames que vivent ses populations, constatons que de telles décisions, graves de conséquences, ne donnent pas lieu aux concertations qu’on serait en droit d’attendre dans des pays démocratiques.

 

      Pour ce qui concerne la France, on nous répondra que c’est ainsi, puisque l’on vit dans un système de monarchie républicaine, qui postule que certains sujets concernant la diplomatie et la défense n’ont pas à faire l’objet de débat préalable…. Combien de temps encore les Français vont- ils accepter de voir ainsi leurs représentants dessaisis du droit de débattre de l’opportunité de tels choix, qui engagent sérieusement notre pays ?

 

      Certes, l’écheveau des fils de l’invraisemblable imbroglio moyen-oriental est difficile à dénouer. La difficulté ne date pas d’aujourd’hui et on cite souvent la fameuse phrase de Charles de Gaulle dans ses Mémoires de guerre : « Vers l’Orient compliqué, je volais avec des idées simples »….en oubliant quand même la suite du propos -« Je savais qu’au milieu de facteurs enchevêtrés, une partie essentielle s’y jouait. Il fallait donc en être » 

 

      Cette référence ne justifie pas que le débat public se limite à des simplifications extrêmes, qui peuvent donner lieu à des jugements démagogiques ou à des manipulations, comme celle qui consiste à vouloir imposer des réponses, forcément simples, puisque le sujet est compliqué !

 

        Si l’on veut comprendre les enjeux de ce qui se passe au Moyen-Orient, il faut commencer par revenir sur les évènements passés, tenter de comprendre les causes profondes des divisions et des détestations, les ressorts profonds des parties en présence, le poids de l’Histoire et notamment de la religion, les intérêts croisés et parfois contradictoires, le rôle du pétrole….. Il faut aussi revenir sur les erreurs commises et dont on subit aujourd’hui les conséquences.

 

 Réécrire l’histoire serait vain, mais s’interroger sur la façon d’éviter

la répétition de ces erreurs peut être utile.

 

    Relevons d’abord que les Etats actuellement en crise sont des constructions récentes et fragiles : les frontières entre la Turquie, le Liban, la Syrie et l’Irak sont le résultat du partage de la région entre la France et la Grande Bretagne à la fin de la Première Guerre mondiale. Ce partage a été en partie corrigé par le traité de Lausanne (1923), lorsqu’Atatürk établit l’Etat national turc. Mais la fondation de la Turquie kémaliste portait également les germes de conflits futurs, en raison notamment du refus de reconnaître la minorité kurde.

 

      Les sociétés du Liban, de la Syrie et de l’Irak sont marquées par une fragmentation entre des identités multiples, religieuses, ethniques ou tribales. Il y existe un réel sentiment d’appartenance nationale, mais ce sentiment peut, en période de crise, passer au second plan derrière les loyautés communautaires, ressenties comme plus protectrices.

 

      Si les troubles du Moyen-Orient ont un tel impact sur la sécurité internationale, c’est naturellement en raison du poids de la région dans l’approvisionnement en pétrole de l’Europe, de l’Asie et même des Etats-Unis (malgré le développement récent des hydrocarbures non conventionnels). Autre facteur déstabilisant : le conflit israélo-arabe. Enfin les rivalités des puissances régionales entretiennent des tensions permanentes : les ambitions de l’Arabie Saoudite sunnite, alliée indéfectible de l’Occident, malgré son régime obscurantiste et répressif, se heurtent à celles de l’Iran chiite qui aspire à prendre l’ascendant sur le monde musulman en proposant son modèle de république islamique. L’influence de l’Iran s’étend au Liban en raison du poids du Hezbollah chiite, à la Syrie dominée par la minorité alaouite, aujourd’hui proche du chiisme et à l’Irak majoritairement chiite. Mais, dans le camp sunnite, le leadership de l’Arabie saoudite est contesté par tous ceux qui réclament à la fois des élections libres et l’application de la loi islamique. On trouve dans cette mouvance des Etats comme le Qatar (malgré son régime autoritaire) ou la Turquie, mais aussi le mouvement des Frères musulmans.

 

      L’apparition du prétendu « Etat islamique » (EI) est un produit de cette accumulation de tensions et de conflits non résolus. Il s’est développé en Syrie, où il a pu profiter de l’incapacité de l’opposition, dramatiquement divisée, à vaincre le régime. Il a rapidement étendu sa présence en Irak, en jouant sur les frustrations de la minorité sunnite. Il sans doute bénéficié du soutien de certains milieux saoudiens désireux de combattre l’influence des Frères musulmans et de la passivité de la Turquie, qui ne souhaite pas prendre parti entre l’EI et les mouvements autonomistes kurdes.

 

Dans ce chaos, que peut apporter l’intervention de la France ?

 

      Arrêter la progression de l’EI et favoriser le rétablissement de l’autorité du gouvernement irakien sont des objectifs parfaitement légitimes. Mais la France aura-t-elle la maîtrise des buts de cette opération politico-militaire pilotée par les Etats-Unis ? Son action aura-t-elle toute la portée politique souhaitable, en particulier si elle est associée à des campagnes de bombardement plus intenses frappant des populations sunnites ? Elle doit avoir la sagesse d’exclure toute intervention en Syrie en l’absence de mandat international. Mais la France prendra-t-elle pour autant ses distances par rapport aux opérations américaines en Syrie, qui viennent de démarrer ?

 

      Quant à l’armement de l’opposition syrienne « modérée », comment empêcher qu’il profite à des mouvements comme le Front Al-Nosra, qui, même s’ils combattent l’EI, recourent aux mêmes méthodes et entendent imposer une idéologie tout aussi totalitaire ? 

 

     La réponse au défi de l’EI ne peut qu’être politique.

 

      Elle doit être recherchée par une nouvelle conférence internationale, moins dominée par la seule puissance américaine et clairement placée sous l’autorité du Conseil de sécurité de l’ONU. La fin du régime d’El-Assad serait un facteur déterminant dans la défaite de l’EI, mais ce serait une illusion de croire qu’elle ne pourra être obtenue que par des moyens militaires. La poursuite indéfinie de la guerre civile nourrit l’extrémisme, d’ailleurs attisé par la rivalité des puissances régionales. Il faut donc, sur la base des acquis des conférences de Genève, reprendre les négociations sans préalable entre toutes les forces syriennes (à l’exception des mouvements terroristes) et avec la participation de toutes les puissances intéressées, en vue d’un partage du pouvoir, conforté par de nouvelles élections sous contrôle international.

 

      Soyons aussi conscients que la stabilisation durable de la Syrie, comme celle de l’Irak et sans doute du Liban ne pourront pas être acquises sans une réintégration progressive de l’Iran dans le jeu diplomatique, ce qui suppose un règlement négocié du litige nucléaire.

 

      Enfin, la relance des conversations en vue d’une « zone exempte d’armes de destruction massive » au Moyen Orient* contribuerait également, dans cette perspective, au retour de la confiance et à l’affaiblissement des extrémismes.

 

On le voit, dans l’Orient compliqué dont parlait De Gaulle, il faut s’efforcer de ne pas en rester à des idées simples !

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* Le principe de ces négociations a été accepté lors de la conférence d’examen du Traité de Non-Prolifération (TNP) en 1995 et réaffirmé en 2010. La réunion préparatoire devait avoir lieu en 2012…..mais a été reportée sine die, à la demande des Etats-Unis, en raison de « l’absence de stabilité du Moyen-Orient » (voir sur ce blog: "Moyen-Orient: une occasion manquée")

Moyen-Orient : comment sortir du chaos ?
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G
Bonjour Monsieur Quilès et Merci de vos précisions.<br /> Cependant la cacophonie qui a régné a la suite de l'info précipitée de l’expulsion des trois ressortissants français par la Turquie, leur arrivée à Marseille, puis la panne informatique vont ternir l'action de notre Président de la République; Les médias s'en donnent à cœur joie et la droite n'est pas en reste; Cela va être difficile de redonner confiance, sauf si l'otage Français est récupéré sain et sauf ...<br /> Bien à vous, <br /> Gilbert de Pertuis
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