Tribune de Paul Quilès publiée dans l'Humanité du 30 septembre
Ce qui se passe avec le pseudo Etat prétendument islamique est préoccupant. L’EI, qui a usurpé les habits de la religion, dispose de beaucoup d’argent, d’un armement important, d’une base géographique à cheval sur 2 pays, de soutiens locaux, d’effectifs provenant de plusieurs pays occidentaux. Il s’est rapidement développé, en tirant profit du sectarisme du précédent gouvernement irakien et des nombreuses erreurs commises par les Occidentaux dans cette région, notamment celles des Etats- Unis depuis 10 ans.
Ce groupe se nourrit des multiples tensions qui traversent la région :
- Le dessin des frontières, résultat d’un partage de la région entre la France et la Grande Bretagne datant de 1923, portait les germes de conflits futurs, en raison notamment du refus de la Turquie de reconnaître la minorité kurde.
- Les sociétés du Liban, de la Syrie et de l’Irak sont marquées par une fragmentation entre des identités multiples, religieuses, ethniques ou tribales.
- Les ambitions de l’Arabie Saoudite sunnite, alliée indéfectible de l’Occident, malgré son régime obscurantiste et répressif, se heurtent à celles de l’Iran chiite, qui aspire à prendre l’ascendant sur le monde musulman en proposant son modèle de république islamique.
- L’influence de l’Iran s’étend au Liban en raison du poids du Hezbollah chiite, à la Syrie dominée par la minorité alaouite, proche du chiisme et à l’Irak majoritairement chiite.
- Dans le camp sunnite, le leadership de l’Arabie saoudite est contesté par ceux qui réclament à la fois des élections libres et l’application de la loi islamique : le Qatar (malgré son régime autoritaire), la Turquie, mais aussi le mouvement des Frères musulmans.
L’apparition de l’EI est donc le produit d’une accumulation de tensions et de conflits non résolus. Dans cet imbroglio, la tentation est de limiter le débat public à des simplifications extrêmes, pouvant donner lieu à de la démagogie ou à des manipulations.
Ainsi, vouloir arrêter la progression de l’EI et favoriser le rétablissement de l’autorité du gouvernement irakien, est légitime, mais l’idée que l’on pourra « éradiquer » militairement cette organisation « barbare » est une idée fausse.
La réponse au défi de l’EI ne peut qu’être politique. Elle doit être recherchée par une nouvelle conférence internationale, moins dominée par la seule puissance américaine et clairement placée sous l’autorité de l’ONU. La fin du régime d’El-Assad serait un facteur déterminant dans la défaite de l’EI, mais ce serait une illusion de croire qu’elle ne pourra être obtenue que par des moyens militaires. La poursuite indéfinie de la guerre civile nourrit l’extrémisme.
Il faut donc, sur la base des acquis des conférences de Genève, reprendre les négociations sans préalable entre toutes les forces syriennes (à l’exception des mouvements terroristes) et avec la participation de toutes les puissances intéressées, en vue d’un partage du pouvoir, conforté par de nouvelles élections sous contrôle international. La stabilisation durable de la Syrie, de l’Irak et sans doute du Liban ne pourra pas être acquise sans une réintégration progressive de l’Iran dans le jeu diplomatique, ce qui suppose un règlement négocié du litige nucléaire.
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En attendant, des questions se posent à propos de l’engagement de la France. Aura-t-elle la maîtrise des buts de cette opération pilotée par les Etats-Unis ? Son action aura-t-elle toute la portée politique souhaitable, en particulier si elle est associée à des campagnes de bombardement plus intenses frappant des populations sunnites ? En tout cas, notre pays doit avoir la sagesse d’exclure toute intervention en Syrie en l’absence de mandat international.