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Le blog de Paul Quilès

Réflexions et informations sur la paix et le désarmement nucléaire, sur la démocratie et sur l'actualité politique.

Comment faire de l’Europe de la défense une réalité ?

Publié le 20 Décembre 2013 par Paul Quilès in International et défense

        Visionner le débat auquel a participé Paul Quilès dans

 

              l'émission "ça vous regarde" de la chaîne LCP

 

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Tribune de Paul Quilès dans Libération du 20 décembre

 

        Une quasi-unanimité s’est instaurée pour se féliciter de l’organisation d’un sommet européen sur la défense.

 

         Pour une large part, les décisions qui y ont été prises étaient déjà connues : il s’agit d’arrangements techniques utiles mais de portée politique limitée. Des mesures de décloisonnement des marchés militaires pourraient favoriser le développement de la base industrielle et technologique de la défense européenne. Les efforts de mutualisation et de partage des capacités vont se poursuivre, devenir un peu plus systématiques. Il pourrait être décidé de lancer des programmes communs de recherche duale dans des secteurs prioritaires comme les drones.

 

          Une question politique essentielle a aussi été posée, en particulier à l’initiative de la France, celle de l’emploi des groupements tactiques, détachements multinationaux européens, encore jamais déployés sur un théâtre. Mais les Britanniques, sur lesquels nous comptions depuis le sommet de Lancaster House, ne semblent plus aussi disposés à concrétiser leur engagement de mettre sur pied une force expéditionnaire conjointe franco-britannique. Les contraintes budgétaires se font en effet aussi sentir au Royaume Uni : depuis l’arrivée au pouvoir de la coalition des conservateurs et des libéraux, le budget de la défense britannique a été réduit de près de 10 %.

 

         Les récentes interventions au Mali et en Centre Afrique, où la France s’est trouvée très esseulée, ont apporté la preuve éclatante que les pays européens ne se sentent pas concernés. Il ne suffit pas cependant de les traiter d’égoïstes, parce qu’ils refusent de contribuer au financement des opérations, ou d’irresponsables, parce qu’ils négligent les conséquences sur la sécurité de l’Europe d’une déstabilisation de zones entières à proximité de nos frontières. Il est pourtant évident que, tant qu’on n’aura pas défini les intérêts communs des pays européens, il ne faut pas espérer de leur part qu’ils s’engagent dans de telles opérations et qu’ils les financent. On risque alors d’être condamné à un bricolage sans efficacité et sans lendemain.

  

         L’indispensable Livre blanc européen

 

         Pour associer nos partenaires, il nous faut donc d’abord les convaincre. Ce ne sont pas des soutiens ponctuels que nous devons viser mais une entente politique en amont sur la base d’une analyse partagée des risques et des menaces. Les travaux sur une stratégie européenne de sécurité doivent donc reprendre, si besoin dans une enceinte restreinte, entre les pays qui en ressentent la nécessité, dans le cadre de ce que l’on appelle la coopération structurée permanente.

 

         Ainsi pourra être établi ce Livre blanc européen, que je réclame depuis des années. Ce document devrait présenter notre vision commune des risques et des menaces et identifier les moyens à mettre en commun pour y répondre le plus efficacement et au moindre coût.

 

         Sans la mise en œuvre d’une telle démarche, nous ne pourrons pas véritablement convaincre nos partenaires de la nécessité d’actions communes pour aider l’Afrique à mieux assumer la composante sécuritaire de son développement. Sans une Afrique stable et en croissance, comment répondre aux défis de la sécurité maritime ou de l’immigration clandestine, qui concernent toute l’Europe, même non riveraine de la Méditerranée ?

 

         La réflexion commune des Européens sur leur sécurité devra aussi concerner leur propre continent. L’actuelle politique russe de rétablissement d’une zone d’influence exclusive sur le territoire de l’ancienne URSS est préoccupante. Parallèlement à sa diplomatie, à présent offensive, la Russie accroît son budget de la défense et maintient un arsenal de milliers d’armes nucléaires tactiques. Elle vient même de déployer des missiles tactiques de courte portée dans l’enclave de Kaliningrad, aux frontières de la Pologne et de la Lituanie.

 

         Face à cette évolution, certains sont tentés par une nouvelle politique de confrontation. Ce n’est pas, à mon sens, le moyen le plus efficace de favoriser les inéluctables réformes démocratiques que les populations ukrainiennes, russes ou biélorusses attendent.

 

        Aujourd’hui, comme à la fin de la guerre froide, des initiatives politiques sont indispensables pour garantir la sécurité du continent européen et encourager les changements démocratiques à l’Est.

 

       C’est dans cet esprit que 70 personnalités du monde politique et militaire viennent de lancer un appel -que j’ai signé-, pour une réduction concertée, sur tout le continent européen (y compris la Russie) des capacités offensives et défensives, nucléaires et conventionnelles. Cet appel demande notamment qu’en matière nucléaire, des mesures communes soient prises pour diminuer les seuils d’alerte et que des dispositifs nouveaux de transparence, de coopération et de confiance permettent d’éliminer toute crainte d’attaque surprise.

 

         L’ambition de l’Union européenne doit être de créer les conditions d’une sécurité partagée sur l’ensemble du continent et ses pourtours, notamment du Sud. C’est à cette aune que les peuples jugeront en définitive les progrès de l’Europe de la défense.

 

Paul Quilès

Ancien ministre de la défense

Membre fondateur de l’association ALB (« Arrêtez la bombe »)

Comment faire de l’Europe de la défense une réalité ?
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