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Le blog de Paul Quilès

Réflexions et informations sur la paix et le désarmement nucléaire, sur la démocratie et sur l'actualité politique.

La punition

Publié le 12 Avril 2018 par Paul Quilès in International et défense

Photo afp.com/George Ourfalian

Photo afp.com/George Ourfalian

Pour la plupart des responsables politiques français, la cause est entendue : il faut punir Bachar el Assad, qui a utilisé des armes chimiques contre son peuple.

Quand et comment cela se produira-t-il ? Depuis quelques heures, Emmanuel Macron et Donald Trump semblent moins pressés, mais, pendant plusieurs jours, on a entendu un flot de menaces, de plus en plus violentes, de plus en plus précises, les commentaires sont devenus de plus en plus techniques….sans que l’on s’interroge sur le contexte et les conditions de cette « punition » annoncée!

C’est ce que je souhaite faire ici, en reprenant une réflexion que je mène depuis des années sur les conditions de la guerre et de la paix.

1-  Comme en 2013, le débat autour de la fameuse « ligne rouge » à ne pas dépasser concernant l’utilisation des armes chimiques a été escamoté. On ne sait pas qui est habilité à fixer cette « ligne », en l’absence d’accord au Conseil de sécurité de l’ONU. De quel droit un ou plusieurs pays peuvent se substituer aux organisations internationales compétentes pour apprécier et juger ces crimes de masse ? Evitons aussi de laisser penser qu’il y aurait des victimes « acceptables » (au Yémen par exemple ?) et d’autres qui ne le seraient pas !

2- Qui serait habilité à définir la sanction et à « punir » ? Un pays seul (les Etats-Unis ? la  France ?) ou une coalition, dont on ne sait pas par exemple si elle ne comporterait pas l’Arabie saoudite… pourtant bien engagée dans des crimes de masse au Yémen ?

3- Comment se fait-il que les grandes puissances aient accordé aussi peu d’importance à la bonne application de la « Convention sur l’interdiction de la mise au point, de la fabrication, du stockage et de l’emploi des armes chimiques et sur leur destruction », que la Syrie a fini par ratifier en 2013 ?

RAPPEL : Il existe des traités internationaux destinés à empêcher l’utilisation des armes de destruction massive (biologiques, chimiques, nucléaires) et de celles qui visent surtout les civils (armes à sous-munitions, mines anti-personnel). Certains de ces traités concernant ce qu’on appelle, de façon un peu hypocrite, les « armes inhumaines » n’ont pas été signés par de grands pays, qui ne se privent pourtant pas de donner des leçons de vertu. Quels sont ces traités ?

- la Convention d’Ottawa interdisant les mines antipersonnel, signée par 164 pays, est entrée en vigueur en 1999. Une trentaine de pays – notamment producteurs !- sont demeurés hors de la Convention(dont USA, Russie, Chine, Inde, Iran…)

- la Convention d’Oslo interdisant les armes à sous-munitions, signée par 112 Etats (sauf USA, Russie, Chine, Israël, Inde, Pakistan), entrée en vigueur en 2010.

- le protocole de Genève (1925) interdisait déjà l’utilisation des armes biologiques et chimiques et des gaz asphyxiants. Les USA ne l’ont ratifié qu’en 1975 !

- la Convention de 1972 concernant l’interdiction de la mise au point, du stockage et de l’utilisation des armes biologiques, a été signée par plus de 50 Etats, ratifiée par la France en 1984, par l’URSS et les USA.

- la Convention sur l’interdiction de la mise au point, de la fabrication, du stockage et de l’emploi des armes chimiques et sur leur destruction a été signée à Paris le 14 janvier 1993. Le traité est entré en vigueur le 29 avril 1997. Il a été ratifié par 192 Etats. Ne l’ont pas ratifié notamment: l’Egypte, la Corée du Nord, Israël. Tous les stocks déclarés n’ont pas encore été détruits (USA, Irak), mais les Etats ont pris des engagements concernant le calendrier de destruction. L’OIAC, organisme de vérification dont le siège est à La Haye, a pour mission de vérifier la bonne application de l’accord.

AUTRE RAPPEL, concernant l’attitude des Etats (notamment les plus puissants) à l’égard des « armes inhumaines » : le massacre d’Halabja (16-19 mars 1988). Cette ville kurde a été soumise à une « attaque punitive » de Saddam Hussein avec des armes chimiques. Le bombardement a fait près de 5000 morts et entre 7000 et 10 000 blessés. Il entrait dans le cadre de l’opération « Anfal » menée par le régime irakien et qui s’est traduite par la destruction de 2000 villages et de 12 villes, entraînant la mort de 200 000 Kurdes. A cette époque, les Occidentaux soutenaient l’Irak dans sa guerre contre l’Iran. Les USA ont attendu la fin 1990, après l’invasion du Koweit par Saddam Hussein, pour attribuer ce massacre à l’Irak….et pas à l’Iran !

4- L’emploi de la force en dehors des dispositions de la Charte des Nations Unies comporte de graves risques. Il entraînerait, qu’on le veuille ou non, un nouvel affaiblissement de l’ONU. Or, malgré ses grandes insuffisances, l’ONU reste une instance indispensable pour le règlement de la plupart des conflits dans le monde. Pour éviter les blocages comme celui qui vient encore de se produire, il faudrait que soit reprise la proposition faite au secrétaire général de l’ONU le 2 décembre 2004, qui recommandait que le droit de veto ne soit pas utilisé au Conseil de sécurité « en cas de génocide ou de violation massive des droits de l’Homme ». La France se devrait de proposer à nouveau * cette remise en cause du privilège dont dispose le « club des cinq » depuis 1945, privilège aujourd’hui abusif alors que notre monde ne ressemble plus, par bien des aspects, à celui de la fin de la seconde guerre mondiale.

5- Dans l’immédiat, la question la plus grave à propos de ce bombardement annoncé est de savoir quelles pourraient en être les conséquences. La plus inquiétante serait l’élargissement  du conflit, notamment entre Russes et Américains. Quant à la Syrie et à son avenir, on n’a pas encore entendu d’analyse pertinente sur le prétendu « bienfait » de cette opération militaire. Si elle est de même nature que la dernière « punition » américaine, elle risque de n’avoir aucune influence sur la situation politique de la Syrie et sur les perspectives malheureusement bien réelles de victoire du régime d’Assad.

 * Suggestion faite par François Hollande à la tribune des Nations Unies.

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