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Le blog de Paul Quilès

Réflexions et informations sur la paix et le désarmement nucléaire, sur la démocratie et sur l'actualité politique.

La France, l’Europe et la course aux armements

Publié le 28 Mars 2017 par Paul Quilès in International et défense

La France, l’Europe et la course aux armements

Tribune de Paul Quilès, publiée dans L'Humanité

 

      L’Union européenne vient d’annoncer une relance de sa politique de sécurité et de défense. Que les Européens se préoccupent de leur propre sécurité sans se laisser enfermer dans les logiques purement militaires de l’OTAN est en soi positif. Si la dimension militaire de l’action extérieure européenne est restée à ce jour très modeste, l’Union dispose d’outils civils substantiels pour contribuer à la sécurité internationale : aide au développement, coopération économique et sociale, appui au renforcement des institutions démocratiques…. Son accès à des instruments militaires plus efficaces pour des missions de maintien ou de rétablissement de la paix constituerait un complément utile. Il est même possible qu’il ouvre la voie à une transformation profonde de l’Alliance atlantique qui verrait l’Europe acquérir de nouvelles responsabilités.

 

     Mais cette tentative de relance de la défense européenne comporte des risques graves : d’abord celui de militariser à l’excès la politique extérieure européenne ; ensuite de crédibiliser une norme arbitraire de dépense (2% du PIB) qui pourrait déclencher une nouvelle course aux armements sur notre continent. Si d’aventure cette norme était mise en œuvre, l’Europe prise dans son ensemble1 dépenserait pour sa défense de l’ordre de quatre fois le budget militaire russe !

 

     Un autre risque est le retour du vieux fantasme de l’arme nucléaire européenne. Cette idée a déjà été agitée au cours de la deuxième moitié des années 1950 ; elle a débouché sur le système de «double clef» qui permet la mise en œuvre, sous contrôle américain, d’armes nucléaires elles-mêmes américaines par des forces aériennes européennes. Elle a également conduit à la création en 1967 du groupe des plans nucléaires qui permet aux pays membres non nucléaires d’être consultés sur l’armement nucléaire de l’Alliance. Au cours des dernières années, Nicolas Sarkozy et François Hollande ont, de leur côté, évoqué en termes vagues le rôle de la dissuasion française dans la sécurité de l’Europe.

 

     Des personnalités politiques européennes ont récemment souhaité aller beaucoup plus loin : le Polonais Jaroslaw Kaczynski, puis des parlementaires allemands ont évoqué la possibilité de constituer une force nucléaire européenne en cas de désengagement américain. Le stratège français F. Heisbourg propose de parler dissuasion au sein d’un groupe des plans nucléaires européen. Ces prises de position sont naturellement contraires à l’essence même de la stratégie de dissuasion, conçue pour donner à une seule personne, et non à une instance collective, le pouvoir de mettre en œuvre l’arme nucléaire. Leurs auteurs se rendent-ils compte qu’ils remettent en cause le TNP 2, qu’ils disent vouloir défendre par ailleurs ?

 

     Le bruit médiatique qui entoure ces déclarations entretient l’idée que l’arme nucléaire est indispensable à la sécurité de l’Europe ; il vise à inciter les Américains à maintenir, ou même à renforcer leur présence nucléaire sur l’ensemble du territoire européen, y compris dans sa partie orientale, alors que les accords passés avec la Russie excluent cette présence.

 

     Ce n’est pas une course aux armements, surtout étendue aux armes nucléaires, qui permettra de consolider durablement la sécurité européenne. C’est au contraire une grande négociation de désarmement qui s’impose pour écarter tout risque d’affrontement militaire sur le continent. Elle devra porter sur trois questions :

 

-   la réduction des arsenaux nucléaires (américains3, russes, français et britanniques) présents sur le continent européen ;

-  la réduction des forces conventionnelles dans le prolongement du traité de désarmement de 1990 ;

- la défense antimissile, pour laquelle la Russie devra recevoir l’assurance qu’elle n’est pas tournée contre elle.

 

     Il n’est peut-être pas trop tard pour que le débat électoral en cours donne aux citoyens la possibilité de se saisir de ces questions cruciales pour la paix sur leur continent.

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1- Même en excluant le Royaume-Uni.

2- Traité de Non-Prolifération nucléaire.

3- Présents en Allemagne, en Italie, aux Pays-Bas, en Belgique et en Turquie.

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