Ancien président de la Mission parlementaire d'information
sur le Rwanda (1998), j'ai souhaité faire cette mise au point,
qui m'a semblé nécessaire dans le climat de confusion
créé par les déclarations du président rwandais,
Paul Kagamé.
Une partie de ce texte a été publiée dans Le Monde de ce jour
sous le titre "Rwanda: en finir avec les accusations aberrantes"
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Le génocide des Tutsis du Rwanda[1] fait partie des grandes tragédies du 20ème siècle. A nouveau, il y a 20 ans, le monde a connu une tentative d’extermination d’un groupe d’hommes en raison de leur naissance.
Depuis cette date, on a assisté à un flot de récits, de témoignages -dans lesquelles il est parfois difficile de discerner la vérité des faits-, d’analyses parfois contradictoires, de polémiques, souvent violentes.
Certaines accusations contre la France sont formulées de bonne foi par des personnes sincèrement bouleversées, qui ne comprennent pas que notre pays, le seul à s’être engagé dès 1990 pour essayer de stopper l’engrenage meurtrier des affrontements au Rwanda, ne soit pas intervenu militairement pour mettre fin au génocide par la force.
Des accusations aberrantes
D’autres accusations ont pour but de discréditer tout engagement français en Afrique. Elles se sont atténuées dans la période récente en raison, notamment, des responsabilités qu’a assumées la France au Mali ou en Centre Afrique, avec l’approbation de la communauté internationale. Elles sont également devenues moins vives avec la prise de distance des États-Unis à l’égard du régime de Paul Kagamé, responsable de graves ingérences dans l’est du Congo, où il appuie un mouvement rebelle, le M 23, responsable notamment du recrutement à grande échelle d’enfants soldats. Cette ingérence et ces méthodes ont été condamnées par de nombreux pays, qui ont suspendu leur aide au Rwanda, ainsi que par le Conseil de sécurité de l’ONU[2].
Il est parfaitement normal d'évaluer la politique étrangère française et certaines interrogations sont légitimes. Mais celles qui émanent d’accusateurs engagés à charge, tels des procureurs, frappent par leur outrance, leur simplisme, leur partialité[3]. Selon certaines d’entre elles, régulièrement réfutées mais sans cesse répétées, la France aurait soutenu un régime dictatorial et ethniste, dans le but de préserver sa zone d’influence en Afrique ; elle aurait laissé ce régime diffuser une propagande raciste et se livrer à des massacres qui annonçaient le génocide à venir ; elle aurait contribué par son aide militaire à la préparation du génocide ; elle aurait soutenu la constitution par les auteurs du génocide d’un gouvernement de fait; elle aurait refusé de porter secours aux victimes et même aidé les auteurs du génocide à fuir le Rwanda avant la victoire définitive du FPR.
Il a été souvent répondu à ces accusations aberrantes, dénuées de tout fondement si on les confronte point par point aux faits établis dès 1998 par la Mission d'information parlementaire que j’ai présidée et par les témoignages des protagonistes recueillis depuis[4].
Le rapport parlementaire de 1998
Après 9 mois de travail, ponctué de très nombreuses auditions publiques, ouvertes à la presse et parfois même télévisées en direct, nous avons publié un rapport de 1500 pages. Ce fut une grande première, puisque le Parlement a enquêté sur le prétendu “domaine réservé” (défense et politique étrangère). Et nous n’avons fait preuve d’aucune complaisance, en analysant les erreurs d’appréciation de la France sur les réalités politiques rwandaises.
Pour mieux comprendre celles-ci, il faut se souvenir qu’après l’indépendance, au début des années 60, les Hutus renversent la monarchie tutsie[5] -qui avait été soutenue par les colonisateurs allemands puis belges- et massacrent un grand nombre de Tutsis. Près de la moitié d’entre eux s’enfuient en Ouganda, les autres restent. D’où une situation déterminante pour l’évolution politique du Rwanda : les Tutsis de l’extérieur veulent retrouver leur patrie perdue, les Hutus entendent les en empêcher et soumettent les Tutsis de l’intérieur à une discrimination et à des persécutions constantes.
La France a cru pouvoir intégrer ce petit pays dans l’ensemble africain francophone. L’aide qu’elle lui a apportée pour l’aider à se défendre contre l’attaque du FPR menée à partir de l’Ouganda s’est accompagnée d’efforts pour convaincre le régime de se démocratiser et de laisser la place à un gouvernement, un Parlement et une armée mixtes (Hutu et Tutsi). Ces efforts furent couronnés de succès, avec les accords d’Arusha[6], auxquels la France a largement contribué et qui permirent aux forces françaises de se retirer, laissant la place à celles de l’ONU.
Mais ces accords n'étaient considérés par les extrémistes hutus que comme une concession provisoire et le FPR cultivait l'ambiguïté sur ses intentions réelles. Dans ce contexte de méfiance et de haine, le pouvoir rwandais, fortement centralisé, disposait des moyens d'entraîner les populations hutues dans la violence. L'assassinat du Président Habyarimana[7] et l'impact des affrontements entre Hutus et Tutsis au Burundi voisin ont alors donné à un groupe de Hutus extrémistes l'occasion de se saisir du pouvoir et de déclencher le génocide.
La passivité de la communauté internationale
Il n’est pas excessif de dire que la communauté internationale a fauté au Rwanda, par manque de volonté, que ce soit avant ou après le déclenchement du génocide. L’ONU s'est trouvée dans l'incapacité de remplir sa mission de sécurité, puisque la plupart des grandes puissances ont refusé de lui donner les moyens d'intervenir, avec des Etats-Unis qui ont, de façon constante et délibérée, contribué à bloquer les décisions du Conseil de Sécurité.
Au contraire de ce qu’il aurait fallu faire, les effectifs de la force internationale déployée à Kigali ont été dramatiquement réduits. Ensuite, quand l’ONU a accepté de lancer une opération humanitaire, c’est la France qui a mené seule l’opération Turquoise[8]…..parce qu’aucun autre pays ne voulait s’y engager !
L’examen honnête des faits, seule façon de répondre à des accusations ignominieuses, a dégagé fermement la France de toute implication dans l’exécution du génocide. Elle ne peut pas être tenue pour responsable, encore moins coupable de ce qu'elle a cherché à empêcher par tous les moyens à sa disposition, même si elle a malheureusement échoué.
[1] Alain Juppé, alors ministre des Affaires étrangères, le 15 mai 1994
[2] Résolution 2076 de novembre 2012, qui a fait suite à l’occupation de Goma par le mouvement rebelle M23, avec l’aide des forces rwandaises.
[3] Il en a été ainsi des accusations portées par le gouvernement rwandais ou ses porte-parole (rapport Mucyo publié en 2008, par exemple).
[4] Voir notamment : rapport de l’ONU (décembre 1999), rapport de l’OUA (mai 2000), bilan du TPIR (Tribunal international pour le Rwanda), instructions des juges français et espagnols.
[5] Les Tutsis représentaient environ 15% de la population et dominait la majorité hutue. Les colonisateurs avaient développé une théorie : les Tutsis étaient vus comme les descendants de conquérants venus de l’Éthiopie actuelle pour assujettir la masse hutue. Cette vision raciste des rapports sociaux rwandais a été la cause première du génocide.
[6] 4 août 1993.
[7] 6 avril 1994
[8] Du 21 juin au 21 août 1994