Certains observateurs ont jugé N. Sarkozy un peu stressé lors de
son annonce de candidature sur TF1 l’autre soir. Personnellement, je ne suis pas étonné, quand je songe au
mal qu’ont dû avoir ses conseillers pour déterminer et lui insuffler un positionnement crédible et mobilisateur.
C’est bien en effet à cette condition que l’on peut s’imposer au 1er tour de ce scrutin très particulier qu’est une élection présidentielle. Il ne suffit pas de parier sur le rejet de l’adversaire, qui est une attitude de
2ndtour, comme on l’a vérifié lors des 8 précédents scrutins de la Vème République.
Il fallait donc trouver un thème, au-delà des slogans
incontournables (et un peu éculés) : la France forte, le rassemblement…. Tâche difficile, lorsque le candidat qu’on doit promouvoir a présidé la France pendant 5 ans, que son bilan est
mauvais, que son image est dégradée et qu’il n’a cessé de se contredire. Alors, l’idée lumineuse a jailli : le peuple, mais oui, le peuple, un peu comme les médecins
de Molière[1] qui trouvaient une explication unique à tous les maux (« le poumon, le poumon, vous dis-je ! »)
Le peuple donc, à qui il faut parler, qu’il faut
rencontrer, qu’il faut incarner, qu’il faut opposer aux « élites », aux partis, aux syndicats. Et pour cela, quoi de mieux qu’un lien direct avec lui par la consultation
référendaire ?
L’idée n’est pas en soi absurde, mais elle se heurte,
dans la présentation qu’en fait N. Sarkozy, à deux objections majeures.
D’abord, celui qui défend cette procédure
n’est pas crédible. Après avoir proposé en 2004 le référendum comme principe de la construction européenne[2], il l’a refusé en 2008 pour la
ratification du Traité de Lisbonne, qui n’était pourtant rien d’autre qu’une autre présentation du TCE, refusé par le peuple français lors du référendum de mai 2005. Plus récemment, il s’est
associé à A. Merkel pour empêcher que le peuple grec puisse s’exprimer par référendum sur le plan brutal que l’Europe lui imposait.
L’autre objection est que l’utilisation du référendum
prônée par N. Sarkozy représente un détournement d’une procédure par essence démocratique, dont les principes sont régis par la Constitution[3]. Vouloir l’appliquer à des thèmes
comme l’immigration ou la formation des chômeurs vise à l’évidence à faire du référendum un plébiscite en exacerbant les réflexes populistes et en jouant sur les peurs.
Si l’on veut vraiment que le peuple ait son mot à dire, sans tomber
dans ces détournements, il faut limiter le recours au référendum aux questions qui engagent lourdement l’avenir et associer sa mise en œuvre à deux conditions :
- que l’information préalable soit poussée à l’extrême, pour permettre un véritable débat public, incluant la
manifestation de désaccords ;
- que le Parlement ne soit pas tenu à l’écart de la démarche.
J’ai eu l’occasion, il y a 6 mois, de prendre
l’exemple du nucléaire civil pour montrer la pertinence d’une démarche référendaire sérieuse et responsable. Naturellement, il ne s’agissait pas de demander aux Français de voter
pour ou contre le nucléaire[4] : cela s’apparenterait un peu à un « référendum Sarkozy » et n’aurait pas grand sens.
La démarche que j’ai proposée vise au contraire à
faire réfléchir collectivement les Français à un sujet majeur, en évitant les simplifications abusives, les affirmations péremptoires, les formules magiques, les surenchères.
Elle se déroulerait en quatre temps :
1- Des scénarios seraient élaborés
par un comité d’experts, qui les décrirait de façon précise et en analyserait complètement les conséquences, notamment en termes de coût d’investissement et de consommation, de développement de
sources alternatives d’énergie, de calendrier, d’emploi.
2- Le résultat de ce travail serait communiqué aux
Français au cours d’une grande campagne d’information, suivie d’un débat public.
3- Après ces deux phases, le Parlement serait
saisi du dossier. A l’issue des travaux parlementaires, un scénario serait choisi et décliné sous forme d’une proposition de loi à soumettre au référendum.
4- Les Français seraient alors consultés par
référendum sur cette proposition de loi.
On le voit, il s’agirait d’un exercice de
démocratie et de transparence. J’espère qu’un gouvernement de gauche saura mettre en œuvre une telle association du peuple aux décisions qui engagent son avenir, donnant ainsi son
véritable sens au mot « démocratie ».
[2]
« A chaque étape de l’intégration européenne, il faut solliciter l’avis du peuple. Sinon, nous nous couperons du peuple » (N. Sarkozy, président de l’UMP-
2004)
[3]
L’article 11 de la Constitution (modifié le 23 juillet 2008) précise notamment que « Le Président de la République, sur proposition du Gouvernement….. ou sur proposition conjointe des
deux Assemblées……. peut soumettre au référendum tout projet de loi portant sur l'organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou
environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent…. ». Dans le cas d’une initiative parlementaire, le référendum « peut être organisé à l'initiative d'un
cinquième des membres du Parlement, soutenue par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales. Cette initiative prend la forme d'une proposition de loi et ne peut avoir pour
objet l'abrogation d'une disposition législative promulguée depuis moins d'un an. »
[4] C’est ce qu’a
semblé proposer Daniel Cohn Bendit à France Inter le 16 février.