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Le blog de Paul Quilès

Réflexions et informations sur la paix et le désarmement nucléaire, sur la démocratie et sur l'actualité politique.

Au-delà de la tragi-comédie socialiste

Publié le 26 Novembre 2008 par Paul Quilès in Médias

Cet intéressant article de Rémi Lefebvre, professeur de science politique à l'université de Reims et co-fondateur du club Gauche Avenir, a été publié dans Le Monde du 26 novembre 2008.

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La "clarification", la "rénovation", une nouvelle direction étaient attendues du congrès de Reims. François Hollande avait décidé de reporter le congrès après les élections municipales pour laisser les divergences socialistes décanter. Au terme d'un long processus peu lisible aux yeux de l'opinion, le rebond n'est pas au rendez-vous. Pire, la confusion règne dans un parti déchiré et englué dans ses contradictions. Après le congrès, le vote des militants devait débloquer la situation, il n'a fait que consacrer leurs oppositions. Deux blocs antagonistes au poids comparable s'opposent désormais. Le PS sort en charpie d'un congrès qui a agi comme un révélateur de ses impuissances.

L'élection de Martine Aubry dans un mouchoir de poche ne règle rien tant sa légitimité est d'emblée précaire. Elle prend la tête d'un parti balkanisé, dépourvu d'axe majoritaire, où de nombreux dirigeants (y compris parmi ceux qui l'ont soutenue) misent sur son échec. Que dire de ce spectacle tragi-comique sans ressasser la paresseuse explication du choc des ego et des ambitions personnelles ? Qu'est-ce qui a conduit à cette situation de blocage, dont le PS semble incapable de sortir ?

L'impasse est le produit d'évolutions structurelles. De plus en plus replié sur ses jeux et enjeux propres, le PS est devenu un entre-soi de professionnels de la politique (la moitié de ses "militants"). Il est d'autant plus dominé par ses luttes de pouvoir qu'il a perdu tout ancrage social, n'est plus irrigué par la société. En apesanteur sociale, éloigné des Français que les discours du congrès ont pourtant sans cesse invoqués, comme pour conjurer le sort, le PS compose un univers impitoyable, où le cynisme tient lieu de code moral. A tous les niveaux du parti, la "camaraderie" de façade voile mal les haines inexpiables et les ressentiments accumulés. Les soupçons de fraude électorale, à l'évidence fondés, ont alimenté un climat de suspicion qui traduit à lui seul la dégradation du "vivre ensemble" socialiste.

Le parti s'est "désidéologisé" à force d'instrumentaliser et de surjouer des oppositions souvent artificielles. L'attitude à l'égard de François Bayrou, grand vainqueur du congrès, est suicidaire. En l'érigeant en point cardinal de leurs luttes internes, les socialistes ont légitimé le MoDem, qui cherche pourtant à les affaiblir.

Le PS n'est plus qu'une addition d'intérêts particuliers. Implantés dans les bastions que lui réserve la logique des élections intermédiaires, les élus qui font et défont les motions ne jouent pas un jeu politique national dont ils se désolidarisent. Les élus veulent-ils vraiment le pouvoir ou ne préfèrent-ils pas le confort émollient de leurs fiefs ? La cacophonie socialiste ne doit pas à la force des courants mais bien à leur faiblesse. Ils ne sont plus que des coalitions fragiles d'intérêts contradictoires et des conglomérats de notables locaux. Aussi se révèlent-ils incapables de structurer des rapports de force et de réguler une concurrence interne devenue débridée.

Le caractère composite des groupes réunis par Martine Aubry et Bertrand Delanoë a rendu impossible la constitution d'une véritable majorité. La nouvelle secrétaire du parti - si sa victoire est entérinée par le conseil national - devra composer avec ce jeu instable et restaurer un leadership affaibli par la culture de la "synthèse" molle léguée par François Hollande. Mais beaucoup de dirigeants ont intérêt à ne pas voir émerger un leadership fort.

La présidentialisation des règles du jeu interne ne fait qu'amplifier ces phénomènes. Les socialistes ont mesuré en 2002 et 2007 les effets redoutables de l'inversion du calendrier présidentiel décidée par Lionel Jospin. Aujourd'hui, ils mesurent les conséquences de la désignation directe de leur premier secrétaire par les adhérents, qui participent de la même logique présidentialiste. La force de cette règle était tempérée jusque-là par le jeu des courants. Elle devient déterminante quand ils s'affaiblissent. Ce fonctionnement démocratique hybride, entre proportionnelle des motions et légitimité directe donnée par les militants, rend le PS ingouvernable.

Ségolène Royal a intégré ces nouvelles règles. A nouveau, elle a joué l'opinion contre le parti, la base contre ses dirigeants, les Français contre les socialistes. Elle transgresse les codes socialistes, accréditant l'opposition entre le "vieux parti" et la rénovation qu'elle appelle de ses voeux. Son assise dans le parti est pourtant fondée sur le soutien des fédérations clientélistes du Sud (un paradoxe de plus). Plus que ses positions sur le MoDem, c'est sa proposition de créer un parti de masse de 500 000 adhérents qui a polarisé les socialistes contre elle.

Son objectif était clair : diluer le "vieux parti" dans un parti post-idéologique perméable aux logiques d'opinion. Tony Blair avait procédé de la même manière lorsqu'il avait liquidé le vieux Parti travailliste. Cette ligne n'a été rejetée que de quelques dizaines de voix : Ségolène Royal reste donc plus que jamais dans le jeu. Sa position de quasi-leader est confortable : à la fois au dehors et à l'intérieur du parti, elle pourra constituer un recours si Martine Aubry échoue.

La tâche de la nouvelle première secrétaire est rude. Identifiée à tort ou à raison au "vieux parti", elle ne peut se dérober à l'exigence de "rénovation", mais ne manquera pas de se heurter à des résistances, aux routines de l'organisation, à la fragilité de ses soutiens. Elle devra desserrer l'étau dans lequel le PS est pris, entre Olivier Besancenot et François Bayrou. Elle dispose de peu de temps. L'échéance présidentielle rattrapera bientôt les socialistes.

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