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Le blog de Paul Quilès

Réflexions et informations sur la paix et le désarmement nucléaire, sur la démocratie et sur l'actualité politique.

100% d'esbroufe

Publié le 5 Février 2012 par Paul Quilès in Politique française

constructibilite.jpg    Lors de sa récente émission télévisée, Nicolas Sarkozy a cru pouvoir impressionner les Français en annonçant son intention de favoriser la construction de logements grâce à un "bonus" de 30 % de constructibilité partout en France. 
     Un ami urbaniste m'a adressé ce texte, que je publie avec plaisir. Il montre les limites de l'esbroufe sarkozienne. Ce n'est pas parce qu'un sujet est technique qu'on a le droit de raconter n'importe quoi
 aux Français!
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30 % de constructibilité en plus, 100% d’esbroufe ! 
 
     - Cette mesure est inapplicable, parce l’urbanisme en France est extrêmement codifié et que ce bonus sarkozien ne peut pas avoir de traduction règlementaire simple et rapide. Il méconnait le droit, les procédures et leur bien fondé. Les communes et les agglomérations sont responsables de fixer la constructibilité, pas le Président. Elles le font par l’intermédiaire de leurs Plans Locaux d’Urbanisme, en fixant une densité minimale ou maximale de construction, quartier par quartier. Les communes peuvent déjà accorder un bonus jusqu’à 50 %, mais à condition que ce soit pour du logement social ou pour des constructions à « haute qualité environnementale ». Le décret coercitif de N. Sarkozy ruinerait tous les efforts en la matière. Annuler de fait la conditionnalité sociale et environnementale du bonus de constructibilité est particulièrement dangereux.

-      Cette mesure est inepte, parce qu’elle ne pourra pas augmenter la production de logements et risque au contraire de dégrader la qualité urbaine.
 
     Dans les zones pavillonnaires, les maisons ne saturent pas en général la constructibilité actuellement autorisée. L’augmenter ne servirait donc à rien. Par contre, les terrains de ces quartiers de banlieue seraient les seuls à garder un prix modéré, ce qui aggraverait encore l’étalement urbain, la prolifération des lotissements et l’allongement des temps de trajet.
 
     Si l’on veut densifier les zones urbaines centrales, pourquoi ne pas simplement accélérer et donner un coup de fouet à l'application des lois Grenelle ? Celles-ci prévoient nombre d’outils utilisables dans la planification urbaine. Pourquoi ne pas rendre ces dispositions obligatoirement débattues et appliquées sous un certain délai -par exemple 2 ans- faute de quoi le préfet fixerait une règle locale provisoire ? L'avantage de ce dispositif serait qu'il y aurait concertation, enquête publique, évaluation environnementale, et donc choix raisonné et débattu localement sur la densité urbaine souhaitée. Rien de tel dans la proposition présidentielle.

     Il n'y a pas que le logement qui consomme du foncier, loin s'en faut. Songeons aux centres commerciaux, responsables, avec les zones d'activité, de 30 % de l'extension urbaine et de plus encore de la consommation des terres agricoles. Leur densité est souvent très faible, mais là…. le Président est muet. La densification est essentielle sur ces zones : limiter ou décourager le stationnement en plein air sans bâtiment superposé, ou obliger les parkings souterrains ou silos? Imposer une part de logement dans toute zone d'activités ou commerciales ? Prendre enfin des vraies mesures pour encourager le commerce de centre ville ou de quartier ?

     Il faudrait aussi faire sauter certains verrous techniques pour rendre crédible les possibilités de densification. Par exemple, les règles de sécurité incendie concernant les immeubles de bureau sont absurdes : elles limitent la hauteur à 8 étages, alors que 10 ou 12 étages ne poseraient aucun problème urbain dans bien des cas. Autre exemple : le gouvernement vient de modifier la définition réglementaire de la "surface de plancher" : elle exclut le stationnement du calcul de la densité, alors qu'elle l'inclut dans le calcul des taxes ! Il faut en finir avec ce type d'incohérence.
 
     - Cette mesure est injuste, parce qu’elle a pour conséquence immédiate d’augmenter le prix des terrains à bâtir. Le bonus sarkozien est d’abord un cadeau aux propriétaires fonciers, ce qui aggrave le mal qu'elle prétend guérir : la pénurie de logements, notamment pour les dix millions de mal-logés, que dénonce la Fondation Abbé Pierre[1].
 
     Il n'est pas illogique d'encourager la densification, mais il ne faut pas que toute la plus value aille dans la poche des propriétaires. Il faut au contraire que la collectivité capte une partie de la plus value ainsi créée et qu’elle pèse sur la baisse du prix de ce foncier, au moins sa maîtrise. Plusieurs techniques fiscales nouvelles sont indispensables pour que cette densification n'ait pas d'effet pervers.

     Pourquoi le propriétaire d'une terre agricole inconstructible toucherait le jackpot du jour au lendemain parce que le Plan Local d'Urbanisme la rend constructible ou que le Parlement décide 30 % de constructibilité en plus[2]? Au contraire, autoriser un lotissement en lointaine banlieue coûte cher à la collectivité, qui va devoir investir dans de nombreux équipements urbains. Ne faudrait-il pas prévoir que toute décision publique de création d'un droit supplémentaire de construire sur un terrain, entraîne automatiquement une taxe d'aménagement à payer par les constructeurs[3]? Ou un droit d’acquisition prioritaire des collectivités à prix réduit[4] ?

     Au total, le bonus sarkozien a tout faux. La forme urbaine de nos villes, la qualité architecturale, le bien-vivre ensemble, toute la complexité du fait urbain seraient balayées au gré d’un coup de bluff pré-électoral.  
     L’efficacité perverse de l’idée n’est pas à craindre, puisqu’elle ne sera pas appliquée, mais la méthode est dangereuse, parce qu’elle privilégie un discours inconséquent qui vise à berner ceux qui l’écoutent.

                                                                                                          Jacques Debouverie
                                                                                                         Urbaniste-conseil, enseignant

[1]Rapport 2012 sur l’état du mal logement en France
[2]L’article 26 de la loi ENL de 2006 a prévu une taxe sur la plus value allant dans ce sens, mais avec un taux de 10 %, qui est ridicule. Cette loi est très peu appliquée jusqu'ici.
[3]Cela limiterait de facto le prix du foncier. Cette taxe peut aller jusqu’à 150 €/m² de plancher, si les communes le décident, ce qu’elles ne font pas en général.
[4]Le "droit de préemption" actuel pourrait être étendu dans ce sens, en fixant le prix des terrains ou des immeubles payé par les collectivités à leur valeur avant leur augmentation de constructibilité.
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G
Posté sur Facebook avec un commentaire élogieux.<br /> Autrefois il semblait naturel de faire payer une Taxe Locale d’Équipement, ou de faire participer les constructeurs à la viabilisation des terrains, dans une ZAC ou un lotissement.<br /> Avec Sarkozy on privatise le bonus conféré aux terrains par les dépenses de la collectivité, et que dire de l'esprit des ZAD, conçues pour empêcher la spéculation foncière?<br /> Lamentable.
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T
une promesse tellement electoraliste qu'elle sent mauvais .Il y avait 5 ans pour le faire
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