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Le blog de Paul Quilès

Réflexions et informations sur la paix et le désarmement nucléaire, sur la démocratie et sur l'actualité politique.

Célébration du 40ème anniversaire du premier lancement d’Ariane

Publié le 22 Décembre 2020 par Paul Quilès in Toujours d'actualité

Célébration du 40ème anniversaire du premier lancement d’Ariane

Je regrette que la célébration du 40ème anniversaire du premier lancement d’Ariane à Kourou le 24 décembre 1979 n’ait pas pu se dérouler dans des conditions normales, compte tenu des contraintes imposées par la crise sanitaire.

 

On m’a demandé de parler des premières années de vie du programme Ariane après son succès initial magistral, ce que je fais volontiers ici. Voir aussi le livret rassemblant les interventions des personnalités qui se sont exprimées au cours de cette commémoration.

 

*****

 

Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs,

 

Au cours de la décennie 80, j’ai eu à plusieurs reprises l’occasion d’être acteur dans ce qu’on peut appeler l’aventure Ariane, en tant que ministre de tutelle du CNES (avec le soutien éclairé et efficace de Jean-Yves Le Gall, conseiller espace dans les 2 cabinets de 1988- 1991 et 1991-1992).

 

Au-delà, j’ai conservé un lien affectif privilégié avec l’Espace, notamment dans l’exercice de ma fonction de maire de Cordes sur Ciel (manifestation annuelle en été « le ciel sur Cordes », en partenariat avec le CNES).

 

J’ai eu aussi l’occasion, il y a quelques années, de mener un travail très intéressant -et, je l’espère, utile- sur les relations entre l’ESA, l’Union européenne et les citoyens européens, avec 6 autres anciens ministres européens en charge de l’espace, à la demande du directeur général de l’ESA de l’époque, Jean-Jacques Dordain.

 

J’ai choisi de vous parler de la politique spatiale qui a été menée dans le cadre de la politique industrielle et de recherche du président Mitterrand et de ses gouvernements au cours de la décennie 80.

             

ARIANE PARMI LES GRANDS TRAVAUX DU PRESIDENT MITTERRAND

 

François Mitterrand a poursuivi, dans la lignée des grands travaux menés par ses prédécesseurs, le Général de Gaulle et Georges Pompidou (rappelés par B. Esambert), avec l’engagement de la France dans les programmes spatiaux européens, d’abord avec le programme Europa de l’ELDO, puis avec celui d’Ariane 1 de l’ESA, dont la mise en œuvre eu lieu sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing qui, après une courte période d’hésitation, a entretenu cet élan initial jusqu’à son plein succès.

 

François Mitterrand s’est, lui aussi, engagé dans de grands travaux, dans le cadre général d’une politique industrielle, de recherche et culturelle, dont les grandes lignes méritent d’être rappelées, pour mieux comprendre les évolutions qui ont concerné plus particulièrement le secteur spatial.

 

Les nationalisations du début du premier septennat.   

 

Je rappelle d’abord qu’au niveau national, le Président Mitterrand, prolongeant en quelque sorte les nationalisations décidées par le Général de Gaulle en 1945, a restructuré le milieu industriel et bancaire au début de son mandat, en procédant à une série de nationalisations qui ont touché des banques et de grandes entreprises dont Thomson, Saint-Gobain, Rhône-Poulenc, Pechiney-Ugine-Kuhlmann, Usinor, Sacilor, Suez, la Compagnie générale d'électricité. Dans le secteur spatial, le Groupe Matra n’a pas été concerné, ce qui facilitera par la suite la constitution d’un grand groupe aéronautique et spatial à l’échelle européenne, en permettant le rapprochement de sociétés publiques et privées. De même, le groupe Dassault n’a pas été nationalisé à 100%. L’ensemble de ces mesures fera l’objet de la loi de nationalisation du 13 février 1982.

 

Dans ce contexte, comment le secteur spatial a-t-il été traité ?

 

L’Europe et la France disposaient avec Ariane d’un lanceur permettant une certaine autonomie d’accès à l’espace, notamment pour lancer des satellites de télécommunication de taille moyenne. Le gouvernement de l’époque s’est attaché, en liaison étroite avec nos partenaires européens à engager de grands programmes d’application, qui répondaient à des besoins non encore satisfaits à l’époque et en pleine évolution, avec une taille et un poids croissants pour les satellites de télécommunication.

 

Il fallait donc soutenir les efforts du CNES, de l’ESA et de l’industrie pour adapter le lanceur Ariane à des missions de plus en plus ambitieuses.

 

Je citerai d’abord un programme d’application naissant, celui des satellites de reconnaissance, à l’origine d’une filière militaire qui s’est renforcée au fil du temps et qui connait en ce moment une sorte de reconnaissance institutionnelle nationale au niveau des forces armées.

 

Dans le domaine militaire, la première génération de satellites de reconnaissance est apparue avec le satellite Hélios, dont le programme a été imaginé dès 1982 et développé avec une participation de l'Espagne (7 %) et de l'Italie (14,1 %). Ses deux premiers satellites seront déployés en 1995 et 1999. Prenant la suite du projet SAMRO (SAtellite Militaire de Reconnaissance Optique),  le programme Hélios a été lancé en 1985 avec pour objectif principal la surveillance du bloc soviétique (qui était alors une réalité puisqu’on se trouvait avant la chute du mur de Berlin en 1989). À l'époque, la France a pu s'appuyer sur la connaissance technique acquise dans le cadre de notre programme d'observation civil français SPOT développé par le CNES et dont le premier satellite a été lancé en 1986 (j’étais alors ministre de la défense). Les principaux composants (capteurs, optiques, systèmes d'enregistrement et de transmission, plate-forme) en ont été repris pour développer le satellite de reconnaissance militaire.

 

Le défi lancé par Ariane au Space Shuttle

 

La période des années 80 est surtout marquée par la montée en puissance du programme Ariane. Celui-ci a dû affronter la redoutable concurrence du programme de la navette spatiale américaine, le Space Shuttle, qui devait devenir l’outil universel de lancement des satellites civils américains et occidentaux, les militaires américains ayant gardé les lanceurs consommables pour satisfaire leurs propres besoins.

 

C’est au cours de cette même période des années 80, correspondant aux deux mandats du Président américain Ronald Reagan, que fut menée par ce dernier une politique internationale marquée par la crise des euromissiles et la relance de la course aux armements, ainsi que par la hausse du budget militaire, pour notamment financer le projet d'Initiative de défense stratégique (IDS). Cette course aux armements fut entamée au début des années 1980 et contribua probablement aux difficultés de l'URSS, qui a eu du mal à assumer un tel effort budgétaire et technologique, compte tenu de l’état de son économie.

 

Lors d'un discours à Berlin, Ronald Reagan appela symboliquement Mikhaïl Gorbatchev à faire tomber le rideau de fer, ce qui se produisit fin 1989. Ronald Reagan, désormais perçu comme le grand vainqueur de la Guerre froide, n’avait plus besoin de développer un coûteux programme d’exploration spatiale. L’entretien de l’existant suffisait pour assurer la suprématie américaine, après l’éclatant succès du programme Apollo dans les années 70. La navette spatiale, le Space Shuttle, devait en principe suffire pour répondre aux besoins civils de transport spatial de satellites pour les Etats-Unis et leurs alliés.

 

Le déclin de la navette et la montée en puissance d’Ariane 

 

En concevant au début des années 1970 un engin spatial réutilisable, la NASA avait espéré pouvoir abaisser fortement les coûts du lancement de satellites, qui avait été jusque-là effectué par des fusées consommables à chaque lancement. Mais, comme certains orateurs l’ont dit, les compromis techniques retenus à la conception pour des raisons financières, et surtout la complexité inhérente au concept, ont induit des coûts de développement et d'exploitation très élevés (500 millions de dollars par lancement). Lorsque sa carrière opérationnelle a débuté en 1982, tous les lancements de satellites américains devaient être pris en charge par la flotte des quatre navettes spatiales existantes. Un dumping important pratiqué sur les prix de la navette en début de programme devait permettre d’occuper une place dominante sur le marché des lancements commerciaux. Mais il est rapidement apparu que la navette ne pouvait pas devenir un moyen de lancement concurrentiel par rapport aux fusées classiques, parce que la cadence des lancements espérée n’a pas pu être tenue, en raison des difficultés de mise au point notamment des moteurs cryogéniques principaux. Après la destruction de la navette spatiale Challenger début 1986, qui a entraîné la perte de son équipage, l'utilisation de la navette a été limitée au lancement des satellites non commerciaux et aux expériences scientifiques en orbite.

 

C’est donc un véritable boulevard qui s’est ouvert pour Ariane et Arianespace, dont la place dans le marché du lancement des satellites commerciaux de télécommunication est devenue de plus en plus importante. Les gouvernements des pays européens, et le premier d’entre eux, le gouvernement français, ont soutenu avec vigueur les programmes dérivés d’Ariane 1 au sein de l’ESA, notamment le programme Ariane 4.

 

Ce programme, proposé par le CNES, approuvé par le gouvernement français en 1981, puis en 1982 par l’ESA, a permis de fédérer près de 60 sociétés, de 11 pays européens, autour de la réalisation du projet. La France a participé majoritairement au financement à hauteur de 52 %. Son statut de maître d’œuvre lui a également conféré la responsabilité du développement et du suivi technique du programme. Ce lanceur de nouvelle génération, très modulable, véritable cheval de bataille de l’Europe, a été l’unique lanceur de la famille Ariane utilisé entre 1988 et juin 1995. 46 exemplaires en ont été tirés, dont 43 avec succès, (93% de taux de réussite) et 74 satellites ont été mis en orbite, permettant de servir la météorologie, avec Météosat, la télégestion avec Spot, la télévision avec Télécom, Astra, Eutelsat, Intelsat, ... On peut dire que la notion d’espace utile a pris toute sa dimension au cours de cette période.

 

L’espace comme outil de construction de l’Europe.

 

Au niveau européen, François Mitterrand s’est montré visionnaire en exaltant cette Europe de l’espace, capable d’entrer dans le club très fermé des puissances spatiales, sans naturellement atteindre le volume d’activités des deux superpuissances de l’époque dans ce domaine, les Etats Unis et l’Union soviétique.

 

Malgré le refus allemand de participer au projet Hermès de vols habités ainsi qu’à la construction d’un satellite d’observation, auquel a été préféré le projet EUREKA, François Mitterrand a considéré que ce dernier « ne postule ni n’exclut aucun choix stratégique et vise simplement, en amont du civil et du militaire, à mettre l’Europe en prise avec sur les technologies dont les retombées et applications bouleverseront, domineront en toutes certitudes les données du futur ». Et, de fait, cela a permis de faire progresser de façon pragmatique la cohésion européenne autour de grands projets.

 

Je mentionnerai aussi dans un autre domaine le tunnel sous la Manche, dont le projet fut entériné le 20 janvier 1986 par le Premier ministre britannique Margaret Thatcher et le président  François Mitterrand. Il fut inauguré le 6 mai 1994 et reste encore un élément de rapprochement de la Grande-Bretagne de l’Europe, qui s’est consolidé au fil du temps et que le Brexit n’a pas affecté. C’est pour moi un souvenir fort, puisque la négociation a été finalisée lors d’un sommet franco-britannique à l’Elysée en 1985, auquel j’ai participé en tant que ministre des transports.    

 

Finalement, on peut dire que le Président Mitterrand a montré un réel intérêt pour le spatial, en tant qu’activité de recherche, d’innovation et de production industrielle à haut risque.

 

Il s’est fait l’avocat des vols spatiaux habités, fruit de la coopération avec l’URSS conclue initialement par le Général de Gaulle, puis avec les Etats-Unis. Il a eu notamment l’occasion de féliciter chaleureusement notre astronaute, Jean-Loup Chrétien, à 2 reprises. D’abord en 1982, lors de la mission franco-soviétique PVH, puis en 1988, lorsque Jean-Loup Chrétien décolla de Baïkonour à bord du vaisseau Soyouz TM-7 pour réaliser un vol de longue durée (25 jours) à bord de la nouvelle station Mir, qui comprenait une sortie extravéhiculaire. Ce fut un motif de fierté pour les Français, puisqu’il a été le premier astronaute non Russe et non Américain à réaliser une telle sortie.

 

Mes souvenirs du départ de la mission Aragatz sont d’autant plus forts que j’étais présent à Baïkonour ce 26 novembre 1988, en compagnie de François Mitterrand, d’Hubert Curien et du ministre soviétique des Affaires étrangères, Edouard Chevardnadze.

 

François Mitterrand aurait aimé que nos amis allemands nous accompagnent dans l’aventure Hermès, pour donner à l’Europe un accès autonome aux vols habités. Même si le programme n’a pas pu se réaliser, pour diverses raisons liées notamment à ce renoncement, le programme Ariane 5, faisant suite à Ariane 4, a été lancé en 1987 par les états membres de l’ESA. Conçu pour les vols habités avec Hermès, mais aussi pour les lancements de satellites géostationnaires de télécommunication, le programme Ariane 5 a connu un succès considérable. Il a conforté l’Europe dans sa détermination à conserver cette autonomie d’accès à l’espace tant recherchée pour la gamme de satellites lourds de télécommunication qui allaient envahir l’orbite des satellites géostationnaires à 36 000 km de la Terre. Arianespace, sous l’impulsion de ses PDG successifs, Frédéric d’Allest et Jean-Yves Le Gall, a pu acquérir 50% du marché commercial, ce qui est tout à fait remarquable compte-tenu de la volonté de domination américaine dans ce domaine. Les autres missions d’observation de la Terre ainsi que les missions scientifiques complexes allaient aussi pouvoir se réaliser avec Ariane 5, ce qui a conféré à la France un rôle de premier plan et qui a facilité la coopération avec nos compétiteurs principaux, les Etats-Unis et la Russie, mais aussi la Chine et l’Inde.

 

En ce qui concerne plus particulièrement Ariane, puisque nous sommes ici pour célébrer le 40ème anniversaire du premier lancement à Kourou le 24 décembre 1979 et les premières années du programme, je voudrais citer une intervention de François Mitterrand, qui a connu les hauts et les bas du programme, mais qui n’a jamais cessé de le soutenir. Voici ce qu’il déclarait lors d’un déplacement en Guyane en 1985, pour assister à un lancement qui s’est malheureusement soldé par un échec :

 

« À Kourou, en Guyane, j’ai assisté au lancement par Ariane de deux satellites. On sait que ce quinzième tir, comme avant lui le deuxième et le cinquième, a échoué. Et j’en ai éprouvé, et beaucoup de Français avec moi, une vive déception. Mais nous ne devons pas oublier les réussites qui, dans cette discipline, placent avec Ariane la France et l’Europe au premier rang du monde. J’ai admiré l’exceptionnelle qualité de nos équipes d’ingénieurs et de techniciens. Je les ai remerciés au nom de la France pour les services rendus au pays. J’étais venu m’associer à leur joie, ma place était encore, plus encore, parmi eux alors qu’ils étaient dans la peine. Je leur exprime ici ma gratitude et ma confiance. Quant au programme des tirs suivants, il s’exécutera comme prévu, retardé sans doute d’un mois. » (15/9/1985- RFO)  

 

Comme j’ai tenté de vous le montrer au cours de ce trop bref rappel, la période des années 80 a été riche. Elle a contribué à donner un essor exceptionnel au programme Ariane avec la version particulièrement réussie du modèle Ariane 4, qui a permis d’engager avec confiance le programme Ariane 5.

 

Je souhaite aux équipes du CNES et de l’ESA, ainsi qu’aux industriels européens le plein succès dans la mise en exploitation du lanceur Ariane 6. Certes, le contexte a changé, les compétiteurs montent en puissance, notamment aux Etats-Unis, mais aussi en Chine et ailleurs. La solidarité européenne ne doit pas se démentir dans cette période difficile, qu’il s’agisse d’achever le développement du lanceur et des installations associées, ou de privilégier son utilisation ultérieure, notamment pour les missions gouvernementales....

 

Vive le CNES ! Vive l’ESA ! Vive Ariane !

Célébration du 40ème anniversaire du premier lancement d’Ariane

Mes responsabilités gouvernementales sous la présidence du Président Mitterrand :

Octobre 1983 - Septembre 1985 : ministre de l'Urbanisme et du Logement (et des Transports à partir du 19 juillet 1984).

 Septembre 1985 - Mars 1986 : ministre de la Défense

Mai 1988 – Mai 1991 : ministre des Postes et Télécommunications et de l'Espace.

Mai 1991 - Avril 1992 : ministre de l'Équipement, du Logement, du Transport et de l'Espace

Avril 1992 – Mars 1993 : ministre de l’Intérieur et de la Sécurité Publique

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