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Le blog de Paul Quilès

Réflexions et informations sur la paix et le désarmement nucléaire, sur la démocratie et sur l'actualité politique.

L’impérieuse nécessité révélée par le Covid-19

Publié le 28 Mai 2020 par Paul Quilès in Réflexions à haute voix

 « D’abord, ne pas nuire » (Hippocrate) « D’abord, ne pas nuire » (Hippocrate)

« D’abord, ne pas nuire » (Hippocrate)

Je vous recommande la lecture de ce texte, qui me semble utile pour démêler les controverses sans fin entre médecins et "spécialistes" qui alimentent l'anxiété générale.

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L’impérieuse nécessité révélée par le Covid-19

 

Par le docteur Bernard Pradines

 

    En ces temps de crise sanitaire, bien des citoyens sont légitimement désorientés. Accoutumés au confort des certitudes scientifiques et médicales, ils regardent avec perplexité des chercheurs répandre des hypothèses parfois contradictoires. Ceux qui les émettent sont souvent privés de leur prestance habituelle : nouvelle vague épidémique ou fin de nos tracas, traitement repositionné ou non, vaccin possible, disponible rapidement ou tardivement ? Pis, d’autres, réputés savants, se déchirent publiquement à propos de l’efficacité et de la dangerosité de telle ou telle thérapeutique.

 

Que s’est-il passé ?

 

    Au début de ma carrière, les cours à la faculté de médecine nous étaient enseignés par des professeurs qui étaient censés connaitre la vérité scientifique. Ils délivraient un message auquel il était bienséant de se référer. « Mon maître X dit que… » et « mon maître Y disait que… » appartenaient à nos arguments définitifs. Quelques congrès et revues nous permettaient de connaitre les réussites, presque jamais les revers de nos confrères. Nous nous informions mutuellement de nos succès et échecs pour en tirer parti au profit de nos patients.

 

    Puis vint progressivement l’«evidence-based medicine ». Traduisez : « la médecine fondée sur la preuve ». Ici, point de mandarin omniscient détenant la bonne démarche diagnostique ou la meilleure conduite à tenir devant une pathologie. Il s’agissait désormais de résultats d’études conduites avec une méthodologie progressivement plus exigeante, plus rigoureuse. Le sésame de la parole écoutée fut davantage dans cette nouvelle dimension : « d’après une étude multicentrique menée aux USA, on peut penser que… ».

 

    Ce phénomène fut accéléré par les scandales thérapeutiques tels que celui du Distilbène, du sang contaminé, de l’hormone de croissance ou encore de l’Isoméride, du Médiator ou de la Dépakine, celle-ci étant pourtant prescrite depuis longtemps. Certaines de nos médications furent déclarées inutiles ; je ne les ai jamais vues réapparaître. Nous apprîmes à différencier une étude observationnelle d’une étude interventionnelle. Nous prîmes conscience de la nécessité d’une rigueur indispensable à une interprétation statistique de qualité, apte à tirer des conclusions utiles en pratique quotidienne. Nous devinrent familiers de termes tels qu’étude rétrospective ou prospective, randomisation, double insu, cross-over. Nous constatâmes que les résultats  étaient  parfois contradictoires et tentèrent d’en appréhender la raison. Nous apprîmes à patienter dans l’expectative de déductions  applicables en pratique. Apparurent des spécialistes, dont les méthodologistes et les statisticiens, toujours plus exigeants. Ainsi nous guettions la méthodologie des études cliniques en quête de leur « robustesse » afin de vérifier si elles étaient « validées ». L’étude critique de la littérature médicale devint un sport favori pour les plus perspicaces.

 

    Des sociétés savantes se développèrent et émirent des recommandations selon les grandes familles de pathologies. Toujours « fondées sur la preuve ».

 

    Le phénomène fut accru par la naissance et le déploiement d’agences chargées d’émettre toutes sortes de « recommandations de bonne pratique ». Exemples français actuels : la Haute Autorité en Santé (HAS) et l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM).

 

    La lecture de l’anglais écrit par les médecins, bien loin d’être unanime, s’est suffisamment répandue pour autoriser un accès à des banques internationales de données telles que PubMed. Phénomène bien sûr rendu possible par le développement d’Internet permettant à tout un chacun un accès autrefois réservé aux bibliothèques universitaires. La multiplication des revues et congrès scientifiques nous amena plus souvent à publier nos observations, résultats, éditoriaux ou revues de la littérature. Et à apprécier la problématique des travaux de recherche. Cet exercice nous rapprocha de la difficulté d’une démarche de qualité préalable à toute conclusion bénéfique pour nos patients.

 

Le retour des vieux réflexes

 

    Survient le Covid-19. D’un seul coup d’un seul se réveillent des vieux réflexes sous la pression de citoyens déjà malades ou non, qui attendent et parfois exigent un médicament susceptible de prévenir cette pathologie, de les sauver ou pour le moins d’atténuer leurs souffrances. Face à l’anxiété collective qui monte, les médecins sont brutalement renvoyés au bon vieux temps de l’absence « d’étude clinique bien conduite », une recherche nécessitant presque toujours plusieurs années. Retour aux médicaments au doigt mouillé. La liberté de prescription redevient une exigence pour calmer l’angoisse sociétale. Pis, des patients guéris, parfois célèbres, viennent témoigner de l’efficacité du traitement qui leur a été prescrit. Et de demander que d’autres en bénéficient dans un grand élan d’altruisme toujours désintéressé. C’est donc à une formidable régression à laquelle on assiste. Elle vient marier la valeur, mais aussi le mythe du médicament d’une part avec la société médiatique à flux continu, parfois réduite à quelques mots répétés en boucle d’autre part. Une involution inopinée. Un retour en arrière historique et culturel.

 

L’impérieuse nécessité d’une éducation et d’une information à la santé

 

    La médecine a besoin de temps pour fournir les bases solides d’un traitement, quel qu’il soit. Elle n’est pas exempte de discussions contradictoires et de compétitions d’écoles ou même individuelles. Certes. Mais elle ne doit pas se tromper dans la « balance bénéfice-risque ». « Primum non nocere[1] » fait-on dire à l’un de nos illustres prédécesseurs. Que l’on s’interroge sur la frugalité habituelle des dépenses de recherche est légitime. Que l’on souhaite des publications rapides de résultats s’ils deviennent significatifs est bien normal. Mais réclamer un franchissement des nécessaires étapes de la science aboutirait à se plaindre encore davantage de trop de hâte ayant mis en danger la santé d’autrui et de soi-même.

 

    Non, il n’y a pas 67 millions d’épidémiologistes et d’infectiologues en France. Oui, il y a l’impérieuse nécessité d’une éducation et d’une information à la santé qui intègre la connaissance des démarches indispensables à des déductions adéquates. Au présent et à l’avenir. Pour nous et pour nos descendants.


[1] « D’abord, ne pas nuire » (Hippocrate)

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