Alors que l’on commémore le souvenir de l’armistice
du 11 novembre 1918,
il n’est pas inutile de se souvenir du climat qui a précédé
le déclenchement du carnage que fut la « Grande Guerre »
Ces 2 textes montrent comment Jaurès,
qui pressentait l’étendue de la
catastrophe, a dénoncé jusqu’à la dernière heure
la lourde responsabilité des gouvernants.
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La journée du 31 juillet 1914
(extrait du texte écrit en 1994 par Alain Decaux
pour le spectacle « Ils ont tué Jaurès »)
« Jaurès s'est rendu, à 14 heures 30, au Palais-Bourbon pour la réunion du groupe socialiste. Il va passer le reste de sa journée dans la salle des Quatre-Colonnes. Les nouvelles arrivent, elles sont catastrophiques. Le bruit se répand que l'Allemagne a proclamé l'état de menace de guerre.
Jaurès et les socialistes avaient demandé audience à Viviani. A la présidence du Conseil, ils apprennent que le président ne peut les recevoir : il est en conférence avec l'ambassadeur d'Allemagne. Ce dernier est venu informer le gouvernement français de l'ultimatum que l'Allemagne a adressé à la Russie : " La mobilisation doit suivre si, dans un délai de douze heures, la Russie n'arrête pas toute mesure de guerre contre nous et l'Autriche-Hongrie ".
Abel Ferry, sous-secrétaire d'Etat aux Affaires Etrangères, reçoit la délégation socialiste. Un dialogue véhément s'engage entre Jaurès et lui. Jaurès supplie le ministre d'obliger la France à accepter l'arbitrage que Londres propose à Pétersbourg et à Berlin.
L'entrevue se poursuit dans une totale incompréhension, Abel Ferry déclarant : " Je vous assure que c'est ce que nous faisons. Nous appuyons l'Angleterre, nous tenons le langage qu'il faut à la Russie ".
Après avoir secoué la tête comme un homme qui doute, Jean Jaurès déclare au ministre : " Si dans de pareilles conditions vous nous conduisez à la guerre, nous nous dresserons, nous crierons la vérité au peuple ".
Ferry interroge : " Et maintenant qu'allez-vous faire ? "
La réponse est un cri : "Continuer notre campagne contre la guerre".
Le sous-secrétaire d'Etat aux Affaires Etrangères, avant de reconduire la délégation, s'adresse à Jaurès : " On vous assassinera au premier coin de rue ".
(….)
Jaurès, Renaudel et Longuet sautent dans un taxi qui les conduit à L'Humanité un peu avant 20 heures. Jaurès attend de connaître l'ultime position de l'Angleterre, avant d'écrire un “J'accuse ” dénonçant les causes et tous les responsables de la crise. Il faut aller dîner. Quelqu'un propose le Coq d'Or. " Non, dit Jaurès, c'est un peu loin. Allons au Croissant, c'est plus près ". On y va. Jaurès s'assied dos à la rue.
(….)
Le dîner traîne. Vers 21 heures 30, Jaurès apprend, par une dépêche arrivée d'Havas, que l'Angleterre n'interviendra pas avant lundi. Le dîner s'achève enfin. Un journaliste, René Dolier, s'approche et montre une photo de sa petite fille à Landrieu. Jaurès demande à la voir. Il se penche sur la photo. À cet instant précis, le rideau s'écarte brusquement. Une main, un revolver. Deux coups de feu. Un cri de femme : “Ils ont tué Jaurès !”
Jaurès mourra quelques minutes plus tard. Il n'y a plus d'obstacles à la guerre. »
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Dernier discours de Jaurès à Lyon-Vaise le 25 juillet 1914 (Extrait)
« Eh bien, citoyens! Dans l'obscurité qui nous environne, dans l'incertitude profonde où nous sommes de ce que sera demain, je ne veux prononcer aucune parole téméraire, j'espère encore malgré tout qu'en raison même de l'énormité du désastre dont nous sommes menacés, à la dernière minute, les gouvernements se ressaisiront et que nous n'aurons pas à frémir d'horreur à la pensée du cataclysme qu'entraînerait aujourd'hui pour les hommes une guerre européenne.
Vous avez vu la guerre des Balkans; une armée presque entière a succombé soit sur le champ de bataille, soit dans les lits d'hôpitaux, une armée est partie à un chiffre de trois cent mille hommes, elle laisse dans la terre des champs de bataille, dans les fossés des chemins ou dans les lits d'hôpitaux infectés par le typhus cent mille hommes sur trois cent mille.
Songez à ce que serait le désastre pour l'Europe: ce ne serait plus, comme dans les Balkans, une armée de trois cent mille hommes, mais quatre, cinq et six armées de deux millions d'hommes. Quel massacre, quelles ruines, quelle barbarie! Et voilà pourquoi, quand la nuée de l'orage est déjà sur nous, voilà pourquoi je veux espérer encore que le crime ne sera pas consommé » (….)